Le cri du coeur d’une femme enceinte dont le mari, un travailleur étranger temporaire, a été renvoyé au Mexique après une infraction

Avis aux travailleurs étrangers temporaires : il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre si vous ne respectez pas les lois et cela peut être crève-cœur pour vos proches.

Karine Vendette, journalière dans une entreprise de boulons de Saint-Mathieu-de-Belœil, peut en témoigner. Le père du bébé qu’elle s’apprête à mettre au monde est un travailleur étranger temporaire (TET) mexicain. C’est aussi le père de son garçon de 2 ans. Le 27 novembre, cet homme de 32 ans, Damian Ramirez, a été renvoyé dans son pays après sept ans au Québec.

La raison ? Conduite avec les facultés affaiblies.

Son arrestation a eu lieu le 19 septembre 2020, à 1 h du matin, à Saint-Hyacinthe. M. Ramirez avait 120 mg d’alcool par 100 ml de sang, un taux supérieur à la limite légale de 80 mg par 100 ml. Il s’agissait d’une première infraction.

Karine Vendette ne veut pas minimiser « son geste ». Ce qu’il a fait est « grave », reconnaît-elle. Mais les conséquences sur sa vie et sur celle de sa famille sont « démesurées », estime la femme de 39 ans.

Ce qui ressort de cette histoire est qu’un étranger qui vit au Canada avec un statut temporaire, comme un demandeur d’asile, un travailleur ou un étudiant étranger, est en quelque sorte sur un siège éjectable. Les contrecoups de ses manquements ou de ses erreurs sont plus lourds que s’il était citoyen canadien.

« Loin d’être rose »

« Quand je suis tombée enceinte, je ne savais pas que l’alcool au volant, c’était un crime grave qui menait à un renvoi et à une interdiction de territoire pendant cinq ans », explique Karine Vendette, dans son logement de Saint-Hyacinthe, où nous l’avons rencontrée.

« Je n’avais aucune idée de ça. Si j’avais su ce qui allait arriver, je n’aurais pas fait d’enfants. Ce que je vis en ce moment, c’est loin d’être rose, c’est loin d’être le fun. Je suis dans les derniers milles de ma grossesse, je passe mes journées à essayer de jouer à l’avocate, à remplir des papiers et à stresser. »

Mme Vendette a fait la connaissance de Damian Ramirez en 2018. Tous les deux travaillaient pour Les Viandes Lacroix, une usine de transformation de volailles à Saint-Hyacinthe. M. Ramirez y était en poste depuis le 3 novembre 2017, avec un permis de travail fermé.

PHOTO FOURNIE PAR KARINE VENDETTE

Karine Vendette, son mari Damian Ramirez et leur fils Roméo.

Cinq mois après le début de leur vie de couple, en avril 2020, il s’est fait arrêter pour ivresse au volant. Karine Vendette est tombée enceinte de leur premier enfant au mois de janvier suivant. À ce moment-là, elle était convaincue que son conjoint n’allait pas être renvoyé dans son pays. Les choses allaient s’arranger, se disait-elle. On n’allait pas séparer une famille. Mais elle se trompait.

Le 16 avril 2021, Damian Ramirez recevait sa peine après avoir plaidé coupable : 1500 $ d’amende et interdiction de conduire pendant un an. Six semaines plus tard, il était convoqué par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

« Là, on se fait dire qu’étant donné sa condamnation, il est interdit de territoire », relate sa conjointe.

L’agent de l’ASFC leur a appris du même coup qu’ils pouvaient demander un examen des risques avant renvoi (ERAR), une procédure qui permet aux personnes faisant l’objet d’une mesure de renvoi de demander d’être protégées en décrivant, par écrit, les risques auxquels elles croient qu’elles seront exposées si elles retournent dans leur pays.

À la recherche d’un avocat

Branle-bas de combat : Karine Vendette et Damian Ramirez se sont mis à la recherche d’un avocat en immigration. Sur Google, ils ont tapé dans la barre de recherche « avocat ERAR ». Le premier nom est celui de Robin Dejardin Cabinets d’avocats inc. Ils ont pris contact avec lui et décidé de faire affaire avec lui pour la suite des choses.

Puis, en juillet 2021, « par amour », mais aussi pour faciliter le processus d’immigration, le couple s’est marié. Un mois plus tard, il a déposé une demande de parrainage. Le 8 mars 2022, celle-ci a été refusée. M. Ramirez n’est pas admissible en raison de sa condamnation pour conduite avec les facultés affaiblies.

Rien n’est simple dans ce dossier.

Le 11 octobre 2022, nouvelle convocation à l’ASFC. Le couple a appris qu’aucune demande d’ERAR à son nom n’était à l’étude. Il croyait pourtant que son avocat avait déposé cette demande le 14 juin 2021.

Mme Vendette a porté plainte contre MDejardin « pour fautes professionnelles » au Barreau du Québec le 3 octobre dernier. La Presse a tenté sans succès de joindre MDejardin, qui conteste les faits de la plaignante dans ce dossier.

Le 27 octobre, M. Ramirez a encore été convoqué par l’ASFC. Cette fois, on lui a dit qu’il devait quitter le pays le 27 novembre, à moins d’obtenir un report.

Le 21 novembre, Karine Vendette a déposé deux requêtes en son nom : une demande de résidence permanente pour « considération d’ordre humanitaire » et une demande de « sursis administratif » pour le report. Le délai de traitement pour la résidence permanente est de 20 mois. La demande de report a été refusée par l’ASFC le 23 novembre.

« De la discrimination »

Le 27 novembre, M. Ramirez n’a pas eu le choix. Il a dû prendre l’avion pour le Mexique.

Depuis son départ, Mme Vendette remue ciel et terre pour qu’il puisse revenir, et conteste une décision en Cour fédérale. Elle a contacté des députés, des sénateurs, des ministres.

Son dossier, qui relate toutes les procédures, fait 140 pages. Il témoigne de l’énergie et du courage de cette femme qui s’est lancée dans un combat difficile pour quelqu’un qui n’a pas au départ les connaissances nécessaires pour naviguer dans le dédale administratif et légal de l’immigration.

Cela rappelle aussi que sans avocat, ou encore sans ressources financières pour avoir accès à un avocat, un simple citoyen, et encore davantage un étranger, qui doit affronter les barrières linguistiques et culturelles risque l’échec.

« C’est sûr qu’il va revenir, croit Karine Vendette. Mais c’est dans combien de temps ? Je dois accoucher par césarienne en janvier. Qui va s’occuper de mon fils pendant que je vais être trois jours à l’hôpital ? Je n’ai pas une famille sur qui je peux compter. Je suis une enfant de la DPJ.

« Ce qui me fâche, c’est que si mes enfants avaient un père résident permanent, réfugié ou Canadien, ils n’auraient jamais eu à vivre ça. C’est de la discrimination. »