Face à la controverse suscitée par son départ à Dubaï pour la COP28 en pleine négociation avec Québec, la présidente de la FTQ rentre finalement au Québec.

Rester. Partir. Revenir. Être à la bonne place au bon moment. C’est quelque chose que bon nombre de dirigeants apprennent à la dure. Dont Magali Picard, présidente de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), qui « l’a échappé », selon Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.

Mme Picard a décidé mardi de rentrer précipitamment de Dubaï quelques heures après y avoir atterri – après avoir constaté que son départ pour la COP28 sur le climat, en pleines négociations et entre deux grèves, était très mal reçu au Québec.

J’entends, je lis, je reçois vos commentaires, votre colère du fait que je ne suis pas à Montréal.

Magali Picard, présidente de la Fédération des travailleurs du Québec, dans une vidéo

De s’y rendre « n’a pas été une décision que j’ai prise sans réfléchir », a-t-elle ajouté, insistant sur le fait qu’actuellement, « on n’a personne dans la rue au front commun. Les négociations continuent aux tables ».

Ce sont des membres d’autres syndicats qui sont effectivement en grève ces jours-ci, mais le front commun a annoncé mardi d’autres jours de grève, du 8 au 14 décembre.

La controverse soulevée par le départ de Mme Picard a-t-elle influencé Eric Girard ? En tout cas, le ministre des Finances a renoncé à se rendre cette semaine à New York comme prévu. Il devait y rencontrer des investisseurs et Gary Bettman, le commissaire de la Ligue nationale de hockey. Il reste finalement au Québec pour se concentrer sur le cadre financier du gouvernement dans le contexte des négociations en cours dans le secteur public, a fait savoir son cabinet.

Appelée à commenter la dure journée de Mme Picard, la politologue Geneviève Tellier relève qu’« une erreur, ça peut arriver ».

Mais « quand on est présidente de la FTQ, on est une figure du mouvement syndical, l’un de ses porte-parole. C’est le descriptif du poste. [Et] quand tu es en négociations, quand tes troupes sont en train de sacrifier des jours de salaire, tu dois laver plus blanc que blanc. »

Sur les réseaux sociaux, dans les commentaires reçus à La Presse, des citoyens ont fait le rapprochement avec les excès de Dominique Ollivier, ex-présidente de l’Office de consultation publique de Montréal, et avec la décision du gouvernement Legault de payer entre 5 et 7 millions pour faire venir les Kings de Los Angeles au Québec.

L’importance de flairer l’opinion publique

La comparaison n’est-elle pas boiteuse ? Mme Tellier note qu’en fait, ce sont autant d’erreurs de jugement qui illustrent la difficulté de divers dirigeants, ces temps-ci, « à flairer ce qui est une bonne ou une mauvaise décision » et la façon dont elle sera reçue par l’opinion publique.

La FTQ assurait au départ que Mme Picard pourrait être jointe en tout temps à Dubaï. Mme Tellier relève que décalage horaire il y a et que de toute manière, « se consacrer à 100 % à deux dossiers en même temps » aurait été difficile.

Quelle aurait été sa réelle valeur ajoutée à la COP28 « si elle était tout le temps prise » par le dossier de l’heure au Québec ? demande-t-elle aussi, estimant que sa présence là-bas n’était certainement pas indispensable.

Thierry Giasson, professeur à l’Université Laval au département de science politique et spécialiste de la communication politique, juge au contraire que Mme Picard aurait été parfaitement capable de mener les deux dossiers de front et rappelle encore une fois que ce n’est pas elle qui est assise en ce moment à la table de négociations.

Il est néanmoins d’avis que son départ à la COP28 « n’était pas la meilleure des décisions », d’autant que « le timing était mauvais » avec l’annonce, précisément mardi, d’autres jours de grève en décembre.

Mais sa décision de rentrer rapidement, elle, était parfaite, souligne-t-il.

Elle a dit comprendre que ce n’était pas une bonne idée, elle a réagi vite, mis le couvercle sur la marmite.

Thierry Giasson, professeur à l’Université Laval au département de science politique et spécialiste de la communication politique

M. Giasson relève qu’elle est loin d’être la seule à devoir ainsi corriger le tir, que « François Legault est le roi » de la volte-face.

« Manger quelques claques » et s’en souvenir

Praticien de la communication et des relations publiques, Bernard Motulsky, qui enseigne à l’UQAM, fait valoir que les dirigeants et personnalités publiques doivent prendre acte du fait que les codes ont changé. « De nos jours, en raison des problèmes environnementaux, même un voyage en avion peut vous être reproché. »

Comme Mme Tellier, M. Motulsky s’étonne que l’équipe de Mme Picard ait mal mesuré l’impact de ce voyage.

Mais « les capteurs d’opinion publique de gens brillants peuvent aussi plus ou moins fonctionner », par moments.

« On le voit avec le gouvernement de M. Legault, évoque-t-il. Il y a de la brume sur les lentilles. »

Les politiciens et les dirigeants de grandes organisations « sont en général loin du plancher des vaches », au point qu’il n’est pas impossible, selon M. Motulsky, que la FTQ n’ait aucunement vu venir la controverse.

Mais en politique comme en syndicalisme, « on apprend vite quand on mange quelques claques ».

Des précédents

L’un des cas célèbres demeure les vacances de Jean Doré, ex-maire de Montréal. Lors du déluge du 14 juillet 1987, il était resté en vacances même si une partie de la ville se trouvait immergée. Geneviève Guilbault, ministre des Transports, s’est assurée de ne pas jouer dans ce film : en mars, elle a écourté sa mission en Europe pour gérer la crise à la Société de l’assurance automobile du Québec.

Plus tôt ce mois-ci, Anne Hidalgo, maire de Paris, a été fortement critiquée pour être partie pendant trois semaines en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, un voyage de 88 000 euros (131 000 $ CAN). Ce long périple loin de Paris, pour un déplacement officiel et avant des vacances, a été qualifié de « Tahiti Gate » par l’opposition.

Notons qu’en pleine guerre, le président d’Israël, Isaac Herzog, et celui de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, se trouveront eux-mêmes à la COP28 dans quelques jours.