Le maire de Victoriaville accuse la SAQ d’être en contradiction avec Québec en matière d’aménagement du territoire

En juin dernier, Québec a dévoilé au centre-ville de Victoriaville un nouveau plan pour redynamiser les noyaux villageois de la province. Trois mois plus tard, voilà que ce même centre-ville se trouve menacé, la Société des alcools du Québec (SAQ) prévoyant déplacer sa succursale vers un quartier résidentiel situé plus loin. Le maire dénonce ce projet en contradiction totale avec le discours du gouvernement et basé sur l’attrait des profits.

Au bout du fil, Antoine Tardif ne décolère pas. Il a appris l’été dernier, de la bouche même de représentants de la SAQ, qu’elle souhaitait déménager sa succursale sise au centre-ville, rue Notre-Dame Est, vers un secteur « résidentiel à faible densité » en périphérie, explique-t-il.

La nouvelle a eu l’effet d’une bombe à l’hôtel de ville, où on s’échine depuis plusieurs années à remettre sur les rails le centre-ville de la municipalité.

Des millions ont été investis à cette fin et le gouvernement du Québec s'est d’ailleurs engagé dans l’aventure en accordant une somme de 800 000 $ pour le projet, décrit Antoine Tardif. Une clinique médicale y a enfin ouvert ses portes.

Résultat : le taux d’inoccupation des locaux commerciaux au rez-de-chaussée est passé de 16 % à 5 % au cours de la dernière année.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le maire de Victoriaville, Antoine Tardif

Or, le départ de la SAQ risque de créer un trou béant, déplore Antoine Tardif. « La SAQ étant un monopole, inévitablement, les gens doivent se rendre au centre-ville pour faire leurs achats dont découlent des emplettes dans les commerces avoisinants », souligne-t-il. « Que la SAQ soit installée au centre-ville, c’est d’une importance capitale. »

Un plan clair

L’élu est d’autant plus surpris par la décision de la société d’État qu’elle contrevient selon lui aux orientations du gouvernement du Québec, qui plaide dans sa Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire (PNAAT) l’importance de revitaliser les centres-villes régionaux.

Le plan de mise en œuvre de cette politique, présenté justement au centre-ville de Victoriaville en juin dernier par la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, est clair à ce sujet.

« Les centres-villes, les cœurs de quartiers et les noyaux villageois constituent de forts attraits où se concentre une variété de commerces et de services essentiels à la vitalité des communautés », peut-on y lire, noir sur blanc.

Comble de l’ironie, selon le maire de Victoriaville, Québec écrit aussi que « l’implantation des espaces commerciaux dans les secteurs périphériques, combinée à [d’autres facteurs], engendre une perte de dynamisme et de diversité dans des secteurs névralgiques qui présentent pourtant un fort potentiel de redéveloppement ».

Interpellé par le maire de Victoriaville à ce sujet, le président de la SAQ, Jacques Farcy, lui a répondu que la SAQ est « tenue de répondre à des obligations commerciales ainsi qu’économiques ».

Perdre confiance

Citant une analyse du marché que la SAQ n’a pas voulu transmettre à La Presse puisqu’elle contiendrait des informations commerciales, Jacques Farcy affirme que le déménagement de la succursale du centre-ville lui permettra « d’offrir une meilleure complémentarité de services aux clients ».

Mercredi, la SAQ a déclaré qu’elle avait choisi de prolonger d’un an le bail de sa succursale du centre-ville « afin de ne pas précipiter les choses et dans le but de trouver le meilleur emplacement possible dans le secteur pour bien desservir la clientèle ». La société d’État a toutefois confirmé qu’elle ira de l’avant avec un appel d’offres afin de trouver un nouvel emplacement.

« Lorsque nous évaluons les emplacements les plus propices pour une succursale SAQ, le critère numéro un est de se retrouver au cœur des activités commerciales des différentes régions du Québec pour faciliter le parcours de magasinage de nos clients », explique la porte-parole de la société d’État, Geneviève Cormier.

Cette dernière ajoute que la SAQ est « sensible aux politiques gouvernementales en matière d’aménagement du territoire » tout en rappelant qu’elle n’est pas tenue de les respecter. « Nous nous y conformons dans la majorité des cas », affirme Geneviève Cormier.

Pour Antoine Tardif, cette réponse est toutefois aberrante. « Moi, je perds confiance. Si le gouvernement lui-même ne peut pas avoir d’impact sur ses sociétés d’État, qui les gère ? Et qui s’assure que les priorités du gouvernement sont prises en considération ? », soupire-t-il.

En tant que vice-président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), il entend soulever cet enjeu lors du congrès annuel de l’organisation qui se tiendra dans les prochains jours.

Qui plus est, le cas de Victoriaville est loin d’être isolé, explique Gérard Beaudet, professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. Les municipalités de Magog et de Shawinigan ont notamment été victimes de déménagements du genre ces dernières années.

Lisez la lettre du maire de Victoriaville
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    La SAQ dit réévaluer l’emplacement de 40 à 50 de ses succursales par année, « toujours dans l’optique de bien rejoindre et satisfaire [sa] clientèle ». Dans les deux dernières années, neuf de ses magasins ont été déplacés, un a été fermé et deux autres ont été ouverts.
    Source : société des alcools du Québec