Nouvelle tuile dans le paysage médiatique canadien. Plus de 70 journaux communautaires ontariens appartenant à Metroland Media Group mettent un terme à leur publication papier, a annoncé l’entreprise vendredi. Au passage, 605 personnes perdent leur emploi.

« C’est certainement un coup de poing envers l’industrie médiatique canadienne, et encore plus envers les médias locaux », remarque en entrevue Brent Jolly, président de l’Association canadienne des journalistes.

L’annonce a été faite en pleine Journée internationale de la démocratie, souligne-t-il.

Ça résonne encore plus, car ça remet en question le droit du public à l’information. Et c’est un rappel des défis financiers auxquels notre industrie fait désormais face.

Brent Jolly, président de l’Association canadienne des journalistes

Filiale de Torstar, un holding médiatique qui appartient à Nordstar Capital LP et qui est également propriétaire du Toronto Star, Metroland Media Group a annoncé vendredi qu’elle se retirait en même temps du secteur des cahiers publicitaires et demande une protection en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Son objectif est de mettre en œuvre un plan de restructuration.

La décision entraîne la perte de 605 emplois, soit environ 60 % de la main-d’œuvre de l’entreprise. Parmi ces malchanceux : 68 journalistes, dont plusieurs ont dénoncé la décision sur le réseau social X.

« Le journalisme communautaire est une forme d’art en voie de disparition, a déploré Hunter Crowther, un membre de l’équipe éditoriale de Metroland, qui fait partie de ceux qui ont perdu leur emploi. C’est un jour accablant pour les médias canadiens. »

« J’ai découvert aujourd’hui que c’est ma dernière journée après presque 40 ans avec Torstar, a aussi écrit Kim Zarzour, autrice et journaliste de la région de York. J’ai le cœur brisé. »

Un risque pour la démocratie

Depuis 2008, 474 entreprises médiatiques canadiennes ont fermé leurs portes, selon le gouvernement fédéral. Cette récente annonce de Metroland s’ajoute à la longue liste de mauvaises nouvelles.

« Il n’y aura presque plus de nouvelles locales dans un grand nombre de communautés ontariennes », observe le professeur de journalisme à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Patrick White.

Les gens recevaient ces hebdomadaires à leur domicile. Ce n’est pas vrai que CTV ou Global News vont compenser pour ces nouvelles hyper locales. À ce niveau, c’est un désastre, un grand recul.

Patrick White, professeur de journalisme à l’École des médias de l’UQAM

Metroland a expliqué que cette décision était le résultat de pertes financières insoutenables résultant de l’évolution des préférences des consommateurs et des annonceurs.

« L’industrie des médias continue de faire face à des défis existentiels, en grande partie parce que les géants de la technologie numérique ont utilisé leur position dominante pour s’emparer de la grande majorité des revenus publicitaires au Canada », a affirmé l’entreprise dans une déclaration.

« Le déclin du secteur de la distribution de documents imprimés et de circulaires a été considérablement accéléré par la pandémie de COVID-19 et par la réduction de l’utilisation des dépliants par les lecteurs et les annonceurs comme véhicule de marketing », ajoute l’entreprise.

Ces changements font aussi suite à l’échec des négociations, plus tôt cette année, entre NordStar et Postmedia au sujet d’une éventuelle fusion.

Les deux sociétés étaient en pourparlers concernant un éventuel accord qui aurait vu Postmedia et Metroland Media Group unir leurs forces, tandis que le Toronto Star aurait été géré par une nouvelle société.

PHOTO SEAN VOKEY, LA PRESSE CANADIENNE

Copie du numéro de jeudi du Burlington Post, détenu par Metroland

Les hebdomadaires touchés en Ontario se comparent à des journaux locaux québécois comme le journal L’Éveil de Saint-Eustache, Le Canada français de Saint-Jean-sur-Richelieu ou encore le Courrier Laval, détaille Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM.

« La démocratie va mal se porter, elle va souffrir de ce qui arrive aujourd’hui dans plusieurs petites communautés en Ontario », estime M. Roy. « L’important, rappelle-t-il toutefois, c’est qu’il reste des journalistes sur le terrain. »

Bras de fer avec Meta

L’annonce survient aussi en pleine journée où les politiciens, entreprises et citoyens étaient incités à ne pas utiliser Facebook et Instagram, pour manifester leur appui aux médias traditionnels.

Lisez l’article « Appel au boycottage de Meta ce vendredi »

À l’Association canadienne des journalistes aussi, le boycottage était répandu, confirme Brent Jolly.

Les médias sont sous pression depuis des années alors que des géants en ligne comme Google et Meta, propriétaire de Facebook, se sont emparés du marché publicitaire.

Plus tôt cette année, Ottawa a adopté la Loi sur les nouvelles en ligne, qui obligera les géants du numérique à payer les médias pour le contenu qu’ils partagent ou réutilisent sur leurs plateformes.

Meta et Google ont répondu en annonçant qu’ils bloqueraient le contenu des éditeurs de nouvelles canadiens de leurs services avant l’entrée en vigueur de la loi. Une menace que Facebook a déjà mise à exécution depuis le mois d’août.

Brent Jolly craint qu’en attendant un règlement politique et l’arrivée de nouveaux fonds – qui pourraient mettre un à deux ans avant d’être distribués –, d’autres médias locaux perdent encore des plumes.

Avec La Presse Canadienne

La dégringolade des médias en 2023

Depuis le début de l’année 2023, coupures et mauvaises nouvelles s’accumulent dans l’univers médiatique canadien et québécois. Retour en quelques dates marquantes.

25 janvier

Une dizaine de postes sont abolis au Montreal Gazette, dernier quotidien anglophone de la métropole. Ailleurs au pays, son propriétaire, le géant Postmedia, annonce devoir mettre à pied 11 % du personnel de ses salles de rédaction. La semaine d’avant, la société avait aussi déclaré qu’une dizaine de ses journaux communautaires albertains allaient migrer vers des formats numériques.

16 février

Le couperet tombe dans le secteur des médias de Québecor, qui élimine 240 postes, dont 140 chez Groupe TVA, en raison de l’érosion de ses revenus publicitaires.

29 mars

Les six quotidiens régionaux des Coops de l’information (CN2i) annoncent qu’ils cesseront leur impression papier à partir de la fin de décembre 2023. Une centaine de postes, soit environ le tiers des effectifs de l’organisation, doivent par le fait même être supprimés.

16 mai

Au sud de la frontière, Vice Media se met à l’abri de ses créanciers et s’ajoute à la liste des entreprises dont le modèle d’affaires devenait insoutenable en raison de la mainmise des géants numériques sur le marché publicitaire.

22 juin

La Loi sur les nouvelles en ligne du gouvernement canadien reçoit la sanction royale. Selon le site du gouvernement, « cette nouvelle loi oblige les plateformes numériques qui diffusent de l’information et dominent le marché à négocier équitablement et de bonne foi avec les entreprises de presse canadiennes pour pouvoir publier leurs nouvelles ». La loi doit entrer en vigueur au plus tard 180 jours après son approbation.

1er août

Meta met ses menaces à exécution. Le géant des médias sociaux, propriétaire des plateformes Facebook et Instagram, dit avoir « commencé à mettre fin à l’accès aux nouvelles au Canada ». L’entreprise dit bloquer les informations au pays pour se « conformer » à la Loi sur les nouvelles en ligne d’Ottawa.

12 août

L’entreprise Métro Média, qui comprend le Journal Métro et 16 hebdomadaires locaux, annonce la suspension immédiate de ses activités, laissant ses employés sous le choc et le milieu des médias peiné.

15 septembre 

Metroland Media Group annonce son intention de mettre fin aux éditions imprimées de ses journaux communautaires et de se retirer du secteur des circulaires, supprimant 605 postes au passage. Il demande une protection en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pour mettre en œuvre un plan de restructuration.