(Ottawa) L’envoyé de l’Inde au Canada se dit convaincu que le gouvernement fédéral protège de manière adéquate les diplomates de son pays, après que New Delhi a fait part de ses inquiétudes quant à leur sécurité au début de l’année.

Le haut-commissaire indien Sanjay Kumar Verma se dit également optimiste quant à la possibilité pour les deux pays de contourner les tensions de la diaspora pour nouer des liens plus étroits.

« La liberté a deux côtés de la médaille, et c’est un équilibre délicat qui doit être maintenu par la société », a déclaré M. Verma à La Presse Canadienne lors d’une longue entrevue le 31 août.

Le Canada et l’Inde sont en désaccord depuis des années sur la réponse d’Ottawa à un mouvement séparatiste indien de longue date qui a des partisans dans tout le pays, mais les choses se sont envenimées au début de cette année lorsque la police a été invitée à enquêter sur des menaces de mort présumées à l’encontre de diplomates indiens au Canada.

Ces menaces ont été proférées à la suite du meurtre d’un dirigeant de gurdwara – un temple sikh – à Surrey, en Colombie-Britannique, que certains membres de la communauté sikhe considèrent comme une attaque à motivation politique.

La police a déclaré qu’elle n’avait aucune preuve d’un quelconque lien avec une ingérence étrangère et qu’elle n’avait aucune raison de penser que la communauté sikhe du Canada était en danger.

Toutefois, après la mort de Hardeep Singh Nijjar, le groupe Sikhs for Justice, établi aux États-Unis, a appelé ses sympathisants au Canada à « assiéger » les missions diplomatiques de l’Inde, en offrant des récompenses en espèces pour obtenir les adresses personnelles de diplomates. Certaines affiches appelaient à « tuer l’Inde », tandis que d’autres qualifiaient M. Verma et ses consuls généraux de tueurs.

L’Inde a ensuite demandé officiellement au Canada de mieux respecter son obligation de protéger les diplomates étrangers. M. Verma a souligné qu’il ne s’agissait pas seulement de menaces, mais aussi de grandes manifestations qui ont bloqué l’accès au bâtiment.

« Il y a eu des affiches où l’on me traitait d’assassin. Aujourd’hui, ma tête est mise à prix par les terroristes khalistanais, et quand je vois cela, je me dis : “Si c’est ça la liberté d’expression, je ne sais pas dans quel monde je vis” », a témoigné M. Verma la semaine dernière.

« Si une récompense est placée sur ma tête, cela ne restreint-il pas ma liberté de mouvement ? Où est donc ma liberté de mouvement dans ce pays ? » a-t-il dit.

Il a toutefois déclaré que « nous sommes très satisfaits » que le Canada ait répondu de manière appropriée à la demande d’une meilleure protection.

« Nos préoccupations ont été prises en compte. Elles ont été bien comprises », a souligné M. Verma.

Répercussions du Khalistan au Canada

Le mouvement séparatiste du Khalistan milite pour qu’une partie de l’État indien du Pendjab devienne un pays indépendant, mais le gouvernement indien le considère comme une formation extrémiste qui met en péril la sécurité nationale. L’Inde accuse depuis longtemps le Canada d’abriter des extrémistes, alors qu’Ottawa a toujours soutenu que la liberté d’expression signifie que les groupes peuvent exprimer des opinions politiques s’ils ne recourent pas à la violence.

Le décès de M. Nijjar est survenu après que les relations diplomatiques entre les deux pays ont été mises à rude épreuve au printemps.

En mars, des députés canadiens de différents partis ont énoncé leur inquiétude quant à la liberté d’expression en Inde, après que les autorités ont restreint l’accès à l’internet et limité les rassemblements, tout en recherchant un dirigeant sikh à la suite de la violente prise d’assaut d’un poste de police. Cette répression a également déclenché une manifestation chahuteuse le 23 mars devant le haut-commissariat de l’Inde à Ottawa.

En juin, la conseillère à la sécurité nationale du premier ministre Justin Trudeau, Jody Thomas, a déclaré que l’Inde figurait parmi les principales sources d’ingérence étrangère au Canada, une désignation publique qu’Ottawa a largement réservée aux États autoritaires.

Des vidéos ont ensuite été diffusées lors d’un défilé à Brampton, en Ontario, au cours duquel un char allégorique a représenté l’assassinat, en 1984, de la première ministre Indira Gandhi par ses deux gardes du corps sikhs. Les organisateurs ont déclaré que le char faisait partie d’un défilé en l’honneur de ceux qui sont morts en cherchant à obtenir l’indépendance du Khalistan. L’assassinat de Mme Gandhi faisait suite à son autorisation d’une opération militaire qui a tué des militants sikhs et déclenché des émeutes meurtrières qui ont fait des milliers de morts.

Mais les responsables des deux pays ont déclaré que le char du défilé glorifiait la violence. Le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, a affirmé que l’incident montrait le laxisme d’Ottawa face à l’extrémisme, ajoutant qu’il nuisait aux relations bilatérales.

Un accord commercial en jeu

Le Conseil canadien des affaires craint que la question du Khalistan ne mette un frein aux efforts déployés depuis des années par les deux pays pour signer un accord commercial. Ce dossier survient également alors que M. Trudeau doit se rendre à New Delhi cette semaine à l’occasion du sommet des dirigeants du G20.

Le Canada a interrompu les négociations en cours en vue d’un accord commercial, mais la ministre fédérale du commerce, Mary Ng, a indiqué que cette pause n’était qu’une « réflexion pour faire le point sur la situation ».

« Les accords commerciaux sont complexes et de nombreux éléments entrent en ligne de compte », a-t-elle dit à Jakarta, où elle se trouve en compagnie de M. Trudeau.

M. Verma a déclaré que l’Inde souhaitait que le meurtre de M. Nijjar fasse l’objet d’une « enquête approfondie ».

« Ceux qui ont commis cette grave blessure doivent être punis conformément à la loi canadienne », a mentionné M. Verma.

« En tant que simple citoyen, j’ai été blessé par le meurtre d’une personne. Et quand je regarde les raisons, elles peuvent être nombreuses, et ces raisons ne sont pas nécessairement motivées par le Khalistan. »

Un sujet sensible

M. Verma a souligné que l’Inde ne s’attendait pas à ce que le Canada interdise à quiconque d’exprimer son soutien au Khalistan, estimant que la liberté d’expression était un « pilier essentiel » pour les deux pays.

Il a souligné qu’il ne serait pas approprié qu’un diplomate étranger dise au Canada ce qu’il doit faire, mais il a suggéré qu’Ottawa pourrait faire plus.

« Nous nous attendons à ce que tous les pays du monde comprennent notre sensibilité, et que si ces personnes sont soutenues par des pays étrangers, qui veulent que l’Inde soit fragmentée, qu’elle ne reste pas une Inde intégrée, nous soyons inquiets. Ces sensibilités sont bien connues dans le monde entier, y compris au Canada », a-t-il dit.

Nadir Patel, ancien haut-commissaire du Canada en Inde, a déclaré dans une entrevue que le Khalistan était « un irritant important » qui pesait depuis longtemps sur les relations, mais il a ajouté que les deux nations pourraient probablement trouver « une réalité pragmatique » pour surmonter le problème.

« Il est important que les deux parties, et non l’une ou l’autre, écoutent les perspectives et les préoccupations de l’autre et essaient de comprendre », a déclaré M. Patel, qui est aujourd’hui conseiller stratégique principal chez Norton Rose Fulbright Canada.

Il a suggéré que les ministres des deux pays abordent la question en garantissant la liberté d’expression, tout en entreprenant « une plus grande coopération dans les cadres existants entre nos agences de sécurité ».