Chaque semaine de l’été, nos journalistes partent à la rencontre de communautés québécoises d’adoption. Troisième arrêt : une visite au sein de la communauté italienne.

Un cortège funèbre marche lentement dans la rue Dante, dans la Petite Italie. Derrière le corbillard, une vieille dame en marchette, entourée de sa famille. Ils sont suivis d’une quarantaine de personnes à tout casser, moyenne d’âge 60 ans, voire plus.

Les funérailles d’Antonio Stabile se font à l’ancienne, selon une coutume spécifique de Caserta, province du sud de l’Italie. Ce genre de procession est habituellement rare, nous confirme l’employé d’Urgel Bourgie. Mais c’est ainsi que le voulait la famille.

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Antonio Stabile allait avoir 101 ans.

M. Stabile allait avoir 101 ans. Il venait d’une autre époque. Il avait fait la Seconde Guerre mondiale jusqu’en Algérie et en Russie. Été fait prisonnier par les Américains et les Anglais, avant de migrer à Montréal en 1960, où il avait travaillé dans un café du boulevard Saint-Laurent, puis comme imprimeur au Corriere Italiano, le journal de la communauté.

Déclin

Sa disparition n’est pas une exception. La communauté italienne de Montréal, un jour si importante, décline lentement mais sûrement. Les immigrants de la première génération disparaissent les uns après les autres, alors que les enterrements sont désormais plus nombreux que les mariages. Selon les chiffres du recensement canadien, le nombre d’Italiens nés en Italie est ainsi passé de 36 450 à 30 215 entre 2016 et 2021. Une baisse de presque 6000.

« On le ressent physiquement, quand on rencontre les gens », lance Giovanni Rapana, conseiller de la Ville de Montréal à Rivière-des-Prairies et acteur de la communauté.

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Giovanni Rapana, conseiller de la Ville de Montréal à Rivière-des-Prairies

Selon l’élu, la crise de la COVID-19 a clairement accéléré le processus. « On le voit dans le nombre d’associations communautaires, qui a beaucoup diminué depuis la première vague de confinement, dit-il. Avant la pandémie, il devait y en avoir 300. Aujourd’hui, il doit en rester une cinquantaine. Mais beaucoup sont actives seulement sur papier. »

Les enfants de troisième et de quatrième génération se sont pour leur part fondus dans la société québécoise. Ils ne se regroupent plus à Saint-Léonard ou à Laval, où leurs parents avaient choisi de s’installer, mais préfèrent s’établir un peu partout dans la grande région montréalaise.

Signe des temps : les quartiers traditionnels de la communauté, comme Saint-Léonard, accueillent désormais de nouvelles vagues d’immigrants, essentiellement d’Algérie ou du Maroc.

C’est particulièrement visible dans la rue Jean-Talon, à l’est de Papineau, où l’on parle désormais du « Petit Maghreb » et non plus d’une excroissance de la Petite Italie.

Quelques emblématiques personnages tiennent encore le fort malgré tout. C’est le cas de Leon Vellone, un pionnier de la communauté, qui continue de tenir boutique près du métro Fabre, face à l’hôpital Jean-Talon.

M. Vellone, bientôt 90 ans, a ouvert son premier magasin en 1956. Depuis 65 ans, c’est lui qui alimente la communauté italienne en disques et en films importés d’Italie. Dans les années 1960, il a même fondé sa propre étiquette de disques, pour imprimer localement des tubes venus d’Italie.

C’était il y a longtemps. Aujourd’hui, il passe ses journées derrière le comptoir, parmi ses radios, ses porte-clés de Pinocchio, ses écharpes de soccer et ses montagnes de CD ou de DVD que plus grand monde n’achète. Sa femme est morte il y a quelques années, mais pas question pour lui de prendre sa retraite. « Ç’a beaucoup ralenti, mais seul à la maison, je m’ennuie. Et j’aime mes clients. Je vais rester ici tant que je peux », dit-il, bien appuyé sur sa canne.

Nouvelle vague

Cet acte de résistance en cache un autre, non négligeable. Si la première génération d’Italo-Montréalais s’éteint peu à peu, la communauté se régénère malgré tout, à la faveur d’une nouvelle vague – discrète mais réelle – venue d’Italie.

Selon Giovanna Giordano, directrice de la Casa d’Italia, « entre 10 000 et 12 000 Italiens » auraient ainsi débarqué à Montréal au cours des 15 dernières années. « Mais on ne les connaît pas tous », dit-elle.

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Giovanna Giordano, directrice de la Casa d’Italia

On est loin de l’immigration pauvre et non éduquée venue par bateaux entiers dans années 1950. Ces nouveaux venus sont le plus souvent instruits, issus de nombreux champs professionnels et attirés par le contexte nord-américain, plus flexible et potentiellement plus créatif.

Ils viennent pour se réaliser davantage. Parce qu’ils étouffent en Italie. Ils en ont marre de la négativité, du manque de débouchés. Parce que là-bas, il n’y a pas d’espace pour les jeunes.

Giovanna Giordano, directrice de la Casa d’Italia

Mauro Vallerani, 32 ans, correspond assez bien à ce profil. Diplômé d’une école d’économie dans la région de Milan, il est arrivé il y a cinq ans, après un détour par les États-Unis. « J’ai quitté l’Italie à cause du manque de possibilités et de la mentalité fermée, dit-il. Là-bas, quand tu es un jeune avec des envies de faire, on te bloque. »

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Mauro Vallerani, diplômé d’une école d’économie dans la région de Milan

Mauro dit être « tombé amoureux » de Montréal. Il a aussi la chance d’être tombé amoureux d’une Française, ce qui a facilité son obtention de la résidence permanente. Aujourd’hui, il caresse le projet de se reconvertir dans les nouvelles technologies et bosse dans un restaurant pendant qu’il peaufine son plan. Certains de ses amis, en revanche, sont retournés en Italie après l’échéance de leur visa vacances-travail de six mois.

Ces arrivées au compte-goutte assurent un renouvellement minimum de la communauté... qui tente par ailleurs de se réinventer de l’intérieur. Certains s’assurent ainsi d’entretenir le lien et le sentiment d’appartenance au pays d’origine : des écoles spécialisées enseignent l’italien aux plus jeunes. Des cafés continuent de diffuser la RAI et le soccer. Quelques commerces cultivent toujours l’identité italienne.

PHOTO FOURNIE PAR LA CASA D’ITALIA

Cours de cuisine transgénérationnel à la Casa d’Italia. Sur la photo, Elissa Castano et sa grand-mère Filomena Capuccino.

Construite en 1936, la Casa d’Italia offre pour sa part des cours de cuisine italienne pour les enfants, en collaboration avec une école primaire de Laval, question de bien transmettre la tradition. Certains jeunes viennent carrément avec leur grand-mère, pour une expérience transgénérationnelle.

« Je cherche la continuité et je cherche la passion », résume Giovanna Giordana.

Continuité aussi chez les Vellone, où Leon a lancé il y a quelques années une radio sur l’internet (Radio Allegria) avec l’aide de son fils John.

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Leon Vellone et son fils John, dans leur magasin de disques et de films importés d’Italie

À 58 ans, ce dernier a un emploi « bien rémunéré » dans une grande entreprise d’audiovisuel. Mais il n’exclut pas de reprendre un jour le commerce familial, une fois qu’il aura terminé sa carrière. Une perspective qui rassure son papa, inquiet de voir disparaître le fruit de toute une vie de travail.

« Mon père dit qu’il va vivre jusqu’à ma retraite, pour être bien sûr que je prenne la relève, dit John Vellone. Il dit qu’il va se reposer après. Moi, je lui dis fais comme tu veux, mais j’en ai encore pour sept ans. Ça risque d’être long... »