(Ottawa) Les familles de six membres des Forces armées canadiennes qui ont été tués dans l’écrasement d’un hélicoptère Cyclone en avril 2020 intentent une poursuite contre le constructeur.

La poursuite a été déposée le 10 juillet devant la Cour fédérale des États-Unis en Pennsylvanie, où les hélicoptères Sikorsky CH-148 sont construits et testés.

Les avocats représentant les familles affirment qu’un défaut de conception a amené le système de commande de vol électronique à prendre le contrôle de l’hélicoptère, le plongeant dans la mer Ionienne au large des côtes grecques, le nez de l’appareil en premier.

La tragédie a coûté la vie au caporal-chef Matthew Cousins, aux enseignes de vaisseau de première classe Abbigail Cowbrough et Matthew Pyke, ainsi qu’aux capitaines Kevin Hagen, Brenden MacDonald et Maxime Miron-Morin.

Selon la demande en justice, les six personnes à bord savaient qu’elles allaient mourir dans les instants qui ont précédé l’écrasement et ont éprouvé « une terreur et une frayeur inimaginables ».

« Reflétant l’indifférence de l’entreprise à l’égard de la sécurité, qui privilégiait les profits, les défendeurs de Sikorsky, confrontés à des délais non respectés et à des pénalités financières, ont pris des raccourcis pour accélérer la mise en service du CH-148 », peut-on lire dans la requête.

Un système jamais certifié

Le document indique qu’un système de commande de vol électronique n’avait jamais été utilisé dans aucun hélicoptère militaire au monde lorsque le ministère de la Défense nationale a demandé des propositions pour une nouvelle flotte dans les années 1990. Cependant, Sikorsky l’a proposé comme caractéristique afin de récupérer une partie des coûts de développement pour un modèle civil différent.

L’agence américaine, la Federal Aviation Administration, n’a toutefois jamais certifié le système de commande pour l’autre modèle d’hélicoptère, selon la poursuite. « Parce que Sikorsky n’a pas pu trouver un seul acheteur […], le système n’a jamais été mis en production. »

Toujours selon la poursuite, la société a analysé les données de vol de l’accident et a découvert que le système prenait le contrôle de l’hélicoptère lorsque les pilotes effectuaient « des actions significatives sur les pédales et le cyclique » en mode autopilote, comme c’était le cas le 29 avril 2020.

Les pilotes du Cyclone effectuaient une manœuvre à basse altitude similaire à une manœuvre de « retour à la cible » couramment utilisée lors d’opérations de sauvetage ou de combat.

Il est indiqué dans la requête que les pilotes pensaient pouvoir passer outre le pilote automatique sans le déconnecter.

Un phénomène « inconnu » de plusieurs

Un rapport d’enquête sur la sécurité des vols établi par l’Autorité des enquêtes sur la navigabilité pour les Forces armées a qualifié le problème de logiciel de « phénomène de biais d’attitude du modèle de commande, qui « se développe dans un ensemble très spécifique et étroit de circonstances ».

Le directeur de la sécurité des vols de l’Aviation royale canadienne à l’époque, le brigadier général John Alexander, a été cité comme ayant déclaré que le phénomène « était inconnu du constructeur, des autorités chargées de la navigabilité et des équipages » avant l’accident.

« Avant l’écrasement, ni l’Aviation royale canadienne ni les pilotes de l’hélicoptère en cause n’ont été informés de ce défaut de conception potentiellement mortel de Sikorsky », a déclaré l’avocat Stephen Raynes dans un communiqué

« Sikorsky n’a toujours pas réparé le problème de logiciel informatique qui a conduit à l’accident. »

La poursuite affirme que l’entreprise a violé les normes et pratiques de l’industrie de plusieurs façons, notamment en ne créant pas de système d’alerte pour un tel évènement et en ne concevant pas le directeur de vol de manière à ce qu’il se désengage automatiquement si les pilotes vont au-delà de ce qui a été testé par l’entreprise.

Le document indique qu’en vertu des lois canadiennes et américaines, le ministère de la Défense nationale, les Forces armées et l’Aviation royale ne peuvent être désignés comme défendeurs dans une affaire visant à obtenir des dommages-intérêts pour des blessures survenues dans l’exercice de leurs fonctions.

Aucune des allégations n’a été testée par les tribunaux.

Le ministère de la Défense nationale n’a pas répondu immédiatement à une demande de commentaire mercredi.

Un porte-parole de Sikorsky, qui appartient à Lockheed Martin, s’est refusé à tout commentaire mercredi. La société n’a pas encore déposé de réponse au tribunal.

Me Raynes a déjà représenté les plaignants dans un procès contre Sikorsky lié à un accident mortel survenu en mars 2009 au large des côtes de Terre-Neuve.

Cette tragédie — qui impliquait le S-92, un précurseur du modèle CH-148 — a coûté la vie à 15 des 16 travailleurs qui se rendaient sur une plateforme pétrolière.

Les accords conclus dans cette affaire sont confidentiels, mais le site Web de Me Raynes indique que les montants garantissent la sécurité financière des plaignants et « honorent ceux qu’ils ont perdus ».