La saison des incendies de forêt est à peine commencée que déjà les pompiers forestiers du Québec accumulent des centaines d’heures supplémentaires, une situation préoccupante, selon un de leurs syndicats qui s’inquiète des effets à long terme de cette surcharge de travail.

« Cet été-ci nous pousse vraiment au-delà de nos capacités de combat », lâche Nicolas Boulay au bout du fil.

Le président du syndicat des pompiers forestiers de la Côte-Nord est actuellement déployé non loin du poste Micoua, au nord de Baie-Comeau, où plusieurs incendies tiennent en haleine les autorités.

Depuis le début de la saison de combat des incendies de forêt, il y a environ deux mois, il a accumulé 300 heures supplémentaires au fil de semaines de 85 à 90 heures de travail. Une situation semblable à celle de la plupart de ses collègues pompiers de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU).

Les pompiers forestiers québécois travaillent jusqu’à 24 jours de suite, après quoi ils peuvent se prévaloir de deux jours de congé. « On en parle comme d’un marathon, dit-il. On essaie de tout faire pour se rendre au bout. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES LA PRESSE

Pompiers forestiers à l’aéroport de Roberval, le 8 juin dernier

Reste que le syndicat est préoccupé par cette charge de travail hors du commun, d’autant que les semaines les plus chaudes restent à venir. « La fatigue amène les gens à changer de comportement. Ça peut être l’irritabilité, ça peut être la négligence. Donc, il faut qu’on soit à l’affût », résume Nicolas Boulay.

« On rit jaune »

Une autre inquiétude toujours présente dans l’esprit des pompiers forestiers est l’exposition prolongée à la fumée des incendies de forêt, confirme-t-il.

Les Montréalais ont été à même de constater l’impact potentiel de la fumée des incendies de forêt durant la fin de semaine de la Saint-Jean-Baptiste, lorsqu’un nuage de smog historique a recouvert la ville.

« Nous, on en rit, mais un peu jaune », lâche le pompier forestier qui cumule plus de 10 ans d’expérience à la SOPFEU.

Lorsqu’on voit les avertissements de fumée et les évènements qui sont annulés, nous, on vit dans cette fumée-là au quotidien, cette année.

Nicolas Boulay, président du syndicat des pompiers forestiers de la Côte-Nord

« La toux, les maux de gorge, une gorge qui gratte. Lorsqu’on se mouche le soir, on retrouve des particules de cendres », énumère-t-il. « Mais les effets à long terme, sur les poumons, je ne sais pas. »

« C’est une fumée qui est toxique, la fumée des incendies de forêt », confirme la professeure de la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval Elena Laroche, qui s’intéresse notamment à la prévention du risque chez les pompiers.

Ceux qui œuvrent en forêt seraient ainsi exposés entre 800 et 900 heures par saison, soit plus longtemps que leurs collègues dits « urbains », explique-t-elle. Mais les effets à long terme d’une telle exposition ont très peu été documentés chez les pompiers forestiers.

PHOTO AUDREY MARCOUX, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pompiers forestiers durant un breffage à Chapais, non loin de Chibougamau, le 4 juin dernier

Dans une étude publiée en juin 2022, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a publié une étude qui considère l’exposition professionnelle des pompiers urbains et forestiers comme « cancérigène » pour les humains.

Du matériel de protection ?

Or, si les pompiers urbains disposent de certains moyens de protection, comme une bonbonne d’oxygène, en forêt, « ce serait impossible de se déplacer avec ce type d’équipement très encombrant et très lourd », explique Nicolas Boulay.

Le seul équipement de protection individuelle (EPI) dont disposent les pompiers forestiers consiste en une combinaison – le fameux uniforme des pompiers forestiers, veste rouge et pantalon marine – en Nomex, fibre ignifuge résistante à la chaleur.

Ça nous protège d’un contact direct, mais pas des cendres. Quand j’enlève mon pantalon le soir, mes mollets et mes cuisses vont être complètement recouverts de suie.

Nicolas Boulay, président du syndicat des pompiers forestiers de la Côte-Nord

Certaines méthodes « à la source » sont toutefois pratiquées par la SOPFEU, indique Elena Laroche. Ses pompiers forestiers sont ramenés tous les soirs vers des bases éloignées des incendies, alors que dans d’autres pays, les soldats du feu dorment sur place.

En attendant, Nicolas Boulay espère que le sacrifice des pompiers forestiers qui se donnent corps et âme pour protéger la population et la forêt sera récompensé dans leur convention collective. La dernière est échue depuis l’hiver dernier et les négociations en vue d’en signer une nouvelle ont été suspendues cet été en raison de l’urgence de la situation.

À la SOPFEU, on précise qu’aucun incident grave n’a été rapporté à la CNESST depuis le début de la saison des incendies, tant chez ses employés que chez ses sous-traitants.

L’organisation reconnaît qu’il s’agit d’un été sans précédent pour ses troupes, mais assure respecter leurs conditions de travail et être à l’affût quant à leur bien-être.

La SOPFEU dit aussi mettre à la disposition des pompiers des masques N95. « Il y en a qui n’aiment pas ça puisque c’est chaud, donc je mentirais en disant que tout le monde le porte, mais ils sont à leur disposition s’ils le veulent », précise la porte-parole Karine Pelletier.

S’ils éprouvent un quelconque malaise relié à la température ou à la fumée, les pompiers sont également retirés du front, ce qui est déjà arrivé quelques fois cette année, confirme Karine Pelletier.

Des pompiers ont aussi été déplacés de leur campement au complexe Pascagama plus tôt cet été en raison de la fumée.