(Roberval) « S’il fallait que la ville brûle. » Allongé sur un lit de camp de fortune, Francis Côté rêve des lacs et des sentiers qui entourent Chibougamau. Mais il s’inquiète aussi. Comme 7500 autres personnes, il a dû quitter d’urgence la ville du Nord-du-Québec dangereusement menacée par un incendie non maîtrisé.

« On a déjà eu des feux autour de Chibougamau, mais ça n’a jamais été comme ça. On n’a jamais été obligés d’évacuer. C’est la première fois que ça arrive », soutient l’homme de 71 ans, au Centre sportif de Roberval converti en camp de réfugiés. Des centaines de lits de camp sont cordés sur l’aire de jeux de l’aréna et sont entourés de gradins bleus.

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Francis Côté pourrait dormir chez des membres de sa famille à Chicoutimi, mais il a dit vouloir « vivre l’expérience » du centre de réfugiés.

« Il fallait quand même s’y attendre. Plus ça va et plus la forêt grossit alentour de Chibougamau. Les pompiers viennent de faire des tranchées autour de la ville, mais pourquoi ont-ils attendu qu’on soit menacés ? », se demande ce résidant inquiet.

Éloïse Bouchard, 8 ans (« bientôt 9 », proclame-t-elle), est plus candide à travers le va-et-vient des réfugiés et l’écho de l’aréna. Elle aide des bénévoles de la Croix-Rouge à placer des lits le long des bandes de hockey et à ramasser des déchets. Elle s’amuse avec ce qu’elle peut ; ses jouets ont dû rester à la maison.

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Éloïse Bouchard entourée de sa mère, Nancy Bouchard, de sa grand-mère, Huguette Lachance, et d’un ami de la famille, Guy Fournier.

À ses côtés, sa mère cache ses inquiétudes. « Chibougamau, c’est notre terrain de jeux. C’est l’endroit où je pêche. C’est l’endroit où je fais du cheval. Je m’en fais pour nos grands espaces verts. C’est la première fois que la ville est évacuée au complet », dit Nancy Bouchard, qui est accompagnée de sa mère et d’un ami.

Dans l’entrée de l’aréna, un homme échange avec des bénévoles, prend des nouvelles des réfugiés, accorde des entrevues à des journalistes. Le maire de Roberval, Serge Bergeron, n’a pas dormi de la nuit.

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Le maire de Roberval, Serge Bergeron

Mardi, un peu après 20 h, la rumeur s’est confirmée : Chibougamau et la communauté d’Oujé-Bougoumou allaient être évacués, et Roberval devait être prêt à accueillir entre 750 et 1000 personnes qui n’auraient pas d’endroit où se réfugier. Roberval a alors mis en place le plan d’urgence de la municipalité pour en aider une autre.

« Tout le monde ensemble, on s’est partagé les tâches, on a fait des téléphones et on a réussi à avoir 750 lits de la Croix-Rouge d’un peu partout, du Saguenay, de Dolbeau, avec des couvertures et des oreillers », explique le maire.

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En moins de 24 heures, Roberval a mis quelque 750 lits à la disposition des évacués.

En pleine nuit, une épicerie a donné 100 pots de beurre d’arachides, du pain et du café pour le petit-déjeuner des Chibougamois. Au dîner, les pompiers ont grillé des hot-dogs sur des barbecues. Au souper, un supermarché a offert du spaghetti et des sushis.

« L’équipe travaille tout l’après-midi pour planifier les repas de demain et peut-être pour trois, quatre ou même cinq jours dépendamment si les gens pourront retourner à Chibougamau ou non », explique le maire. Les autorités prévoient en effet que le retour à la maison ne se fera pas avant samedi, au minimum.

  • Une policière discute avec une femme de 81 ans après lui avoir apporté une couverture.

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    Une policière discute avec une femme de 81 ans après lui avoir apporté une couverture.

  • Mario Pearson et son chien Zia ont trouvé refuge à l’aréna de Roberval.

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    Mario Pearson et son chien Zia ont trouvé refuge à l’aréna de Roberval.

  • L’aide s’organise à l’aréna de Roberval.

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    L’aide s’organise à l’aréna de Roberval.

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Des bénévoles ont aussi accouru mardi soir pour offrir leur aide. Le cinéma de Roberval va proposer des films gratuits pour que les exilés puissent se changer les idées. Des dizaines de Bleuets ont offert des chambres ou les clés de leur chalet autour du lac Saint-Jean.

Serge Bergeron est fier de l’élan de générosité de ses concitoyens et de la population des villes voisines. « C’est un exemple de solidarité incroyable ! »

« Ce n’est pas évident »

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Un membre de la Croix-Rouge installe un lit dans l’aréna de Roberval.

Le numéro 334

La plupart des gens de Chibougamau se sont réfugiés chez des amis ou de la famille au Saguenay–Lac-Saint-Jean. D’autres ont fui en roulotte et se sont arrêtés au camping Mont-Plaisant.

En entendant cogner à la porte de sa caravane, Richard Poirier sort un peu ébouriffé. « On essaie de recharger les batteries », explique-t-il. Comme bien d’autres, le trajet entre Chibougamau et Roberval lui a pris huit heures au lieu de deux. Les voitures ont fait la file sur la 167, une route d’une voie dans chaque direction, afin d’évacuer la ville dans la nuit.

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Richard Poirier s’est posé au camping Mont-Plaisant.

M. Poirier essaie de rester positif dans les circonstances. Il a des assurances si jamais les flammes engouffrent sa maison.

« Mais ce n’est pas évident », dit Richard Poirier avant de marquer une pause de quelques secondes. « Ce n’est pas évident de partir et de laisser toutes nos choses derrière », précise-t-il la voix serrée.

C’est le puissant incendie numéro 334 qui a forcé l’évacuation historique de Chibougamau. Le brasier voyage vite et se trouve maintenant à une distance de 20 kilomètres de la ville. La veille de l’évacuation, il s’est déplacé sur cette distance, brûlant tout sur son passage.

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Le Centre sportif de Roberval a été converti en quelques heures en camp de réfugiés.

La mairesse de Chibougamau, Manon Cyr, convient que décréter l’état d’urgence – ce qu’elle a dû faire mardi soir – est une mesure de dernier recours. Mais l’incendie 334 n’a pas laissé d’autre option à la SOPFEU et à la Ville.

« Le feu est préoccupant en raison de son immensité, de la météo, de la direction des vents, de la sécheresse qui dure depuis un bout de temps. […] On n’est toujours pas capables de le maîtriser », explique Mme Cyr au téléphone, car elle est restée dans sa municipalité dans l’espoir de la protéger. Ce jeudi, elle prendra un vol vers Roberval pour rencontrer les sinistrés aux côtés du ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel.

« Nous, ce qu’on espère, c’est que le mautadit feu, il va dégager. Il ne se rendra ni ici, ni à Oujé, ni à Chapais. C’est ça, notre objectif », lance-t-elle, plus déterminée que jamais.