Les immigrants menacent-ils réellement le français au Québec ? Un colloque organisé dans le cadre du 90e congrès de l’Acfas, Au-delà des clichés sur les immigrants et la langue au Québec, propose de déboulonner certains mythes et d’apporter des nuances.

Ces mythes, selon Jean-Pierre Corbeil, professeur au département de sociologie de l’Université Laval et organisateur du colloque, sont au nombre de quatre : les immigrants ne connaissent pas le français, ils contribuent au recul du français au travail, ils ne parlent pas français même s’ils ont une certaine connaissance de la langue et il faut leur imposer un délai très court pour apprendre la langue officielle du Québec, sans quoi on ne pourra pas renverser le déclin du français.

« Le but du colloque était de dire : de quoi on parle ? », a expliqué M. Corbeil en entrevue avec La Presse.

Ces efforts visent à aller au-delà des réactions spontanées suscitées par des statistiques sur la réalité linguistique pour les situer dans leur contexte et pour essayer de comprendre ce qu’elles signifient.

C’est notamment le cas de la langue parlée à la maison, l’indicateur le plus utilisé dans le débat public pour mesurer le progrès ou le recul du français.

Au Québec, la proportion d’immigrants parlant le plus souvent le français à la maison est passée de 38,2 % en 2011 à 42,5 % en 2021, selon Statistique Canada. Une donnée souvent interprétée comme une faible pénétration du français chez les immigrants.

« Il y a un mythe concernant le fait que pour que le français subsiste au Québec, il faut que tout le monde le parle le plus souvent à la maison, dit-il. C’est une vision qui est complètement dépassée, qui date des 50 dernières années, où la composition de la population immigrante était fort différente de celle qu’on a aujourd’hui.

« Encore la moitié des immigrants qui sont ici depuis plus de 20 ans, depuis même plus de 40 ans, utilisent toujours leur langue tierce le plus souvent à la maison. »

Les nouveaux venus

La part des nouveaux arrivants qui disent être capables de soutenir une conversation en français tourne autour de 80 % depuis 2011, au Québec. Mais on assiste à un nouveau phénomène : les immigrants récents et les résidents non permanents (travailleurs temporaires et étudiants étrangers) ont une moins grande maîtrise de la langue et parlent plus volontiers anglais.

Entre 2016 et 2021, la proportion d’immigrants récents qui disaient pouvoir soutenir une conversation en français a chuté de 80,7 % à 75,7 %. Et le nombre de résidents non permanents unilingues anglais a augmenté, passant de 23 550 à 54 780 personnes.

La raison ? On pourrait y voir un échec des efforts de francisation ou une attitude négative des nouveaux venus face au fait français. Mais, selon M. Corbeil, l’explication est ailleurs.

« Les immigrants récents et les résidents non permanents proviennent de pays où on est plus susceptibles de ne connaître que l’anglais, souligne-t-il. Donc, les défis ne sont pas les mêmes. »

Oui, il y a des enjeux de francisation, mais ces enjeux se posent de façon encore plus criante parce qu’il y a eu un changement assez important dans la composition, en termes de pays sources de l’immigration, de ces nouveaux arrivants.

Jean-Pierre Corbeil, professeur au département de sociologie de l’Université Laval et organisateur du colloque

Dans les données du ministère québécois de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), il y a un renversement assez important à partir de 2013-2014, observe le professeur. « On voit une croissance importante des nouveaux arrivants ainsi que des résidents non permanents qui proviennent de l’Inde, de la Chine, des Philippines, de l’Iran et de la Syrie. »

Cela se traduit par un usage accru de l’anglais au travail, mais aussi dans la sphère publique.

La proportion des travailleurs immigrants pouvant soutenir une conversation en français est passée de 87 % dans la période de 2011 à 2015 à 76 % dans la période de 2016 à 2021. Cette baisse est en partie attribuable à l’augmentation de la proportion des résidents non permanents ne parlant pas français, qui est passée de 21,6 % à 27,2 %, selon les données tirées de la présentation de M. Corbeil, basées sur celles de Statistique Canada.

Dans l’ensemble, 61 % des immigrants utilisent le français au travail, 26,8 %, l’anglais, et 9,9 %, les deux langues. Chez les résidents non permanents, 54,3 % utilisent le français, 35,5 %, l’anglais, et 5,8 %, les deux langues.

Il y a un défi, reconnaît M. Corbeil. Et l’enjeu se pose en matière de choix des immigrants selon leur pays d’origine ou des réponses spécifiques à apporter à cette situation particulière. « Il y a peut-être un nouveau rapport à développer sur les façons de favoriser et promouvoir l’usage du français, analyse-t-il. Mais, déjà, cet usage est largement répandu chez les immigrants et on a tendance à ne pas le considérer. »

Le 90e congrès de l’Acfas se tient jusqu’au 12 mai à Montréal.