(Ottawa) Les Canadiens qui ont été évacués du Soudan ces derniers jours ont vécu « l’enfer » selon la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qui réitère qu’Ottawa fait tout en son possible pour aider ce pays d’Afrique de l’Est à retrouver la paix.

« Ce que les gens fuient présentement, c’est l’enfer. Les gens ont peur de sortir dans les rues parce que c’est dangereux, il n’y a pas d’eau, pas de médicaments, pas de nourriture… Bref, c’est une situation intenable », a relaté Mme Joly lors d’une entrevue avec La Presse Canadienne depuis Nairobi, mardi.

« Les personnes que j’ai rencontrées sont tantôt des Canadiens, tantôt de nos diplomates, tantôt des réfugiés, qui sont très certainement traumatisés par leurs expériences. En même temps, nous sommes là pour les aider », a-t-elle assuré.

Au moment où elle s’entretenait avec La Presse Canadienne, Mme Joly terminait sa visite au Kenya, où elle a entendu le témoignage de gens qui ont échappé à la violence au Soudan. Elle a aussi rencontré des dirigeants d’autres pays de l’est de l’Afrique pour discuter de ce que pourrait faire le Canada pour contribuer à ramener la paix au Soudan, où de violents combats ont lieu depuis trois semaines.

Mme Joly n’a pas caché avoir été touchée par toutes ces histoires, surtout celles de personnes qui ont participé aux opérations d’évacuation. Elle a notamment cité celle de l’équipe de l’ambassade de Khartoum, qui a passé deux heures à lui raconter en détail comment s’est passée l’extraction.

« Les gens avaient peur pour leur vie, mais ils doivent aussi vivre le fait qu’ils ont dû quitter leur maison et les personnes qu’ils aiment », a-t-elle souligné.

Le Soudan a été dirigé par des chefs militaires pour une grande partie de son histoire récente. Le pays a tenté de mettre en place un régime civil au pouvoir, mais les négociations se sont brutalement interrompues le mois dernier.

Aujourd’hui, deux généraux militaires, aussi impopulaires l’un que l’autre, se disputent le pouvoir.

« C’est une guerre pour le pouvoir et pour le contrôle. Au fond, c’est faire la guerre pour faire la guerre », selon la ministre des Affaires étrangères.

La course pour les évacuations

Depuis le 15 avril, les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide, un puissant groupe paramilitaire, se livrent de furieux combats qui se sont amorcés à Khartoum, la capitale du pays qui compte cinq millions d’habitants.

Dès lors, le Canada et d’autres pays ont tenté d’évacuer le plus rapidement possible leurs ressortissants piégés au Soudan, entre autres avec des vols d’extraction depuis une base militaire. Des convois de bus, qui doivent parfois faire des voyages de 30 heures, ont aussi été utilisés pour transporter des gens jusqu’à un port.

Les vols d’évacuation canadiens ont commencé plusieurs jours après ceux de ses alliés, mais Ottawa maintient avoir réagi aussi vite que possible considérant les défis logistiques et les enjeux de sécurité.

Selon Mme Joly, les personnes qu’elle a rencontrées au Kenya étaient reconnaissantes du travail effectué par le Canada et ses alliés pour les ramener dans un endroit sécuritaire. Elle a toutefois ressenti un sentiment étrange lors de ses échanges, puisque les évacués soudanais lui rappelaient les personnes qu’elle avait vues en Pologne quelques jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à l’hiver 2022.

« Ma plus grande crainte en ce moment et qu’il y a un potentiel réel que ce conflit déborde du Soudan jusqu’aux pays avoisinants », a mentionné la ministre entre deux rencontres avec du personnel diplomatique.

Le rôle du Kenya

Le Kenya, où se trouve Mme Joly, tente de coordonner la manière dont les pays voisins du Soudan peuvent réagir à la crise par l’intermédiaire de l’Autorité intergouvernementale pour le développement, un groupe qui se consacre à la paix et à la prospérité dans les pays d’Afrique de l’Est.

« J’ai vu à quel point le Kenya joue et pourrait jouer un rôle encore plus important dans cette crise. Et nous devons être là pour le soutenir, car c’est le meilleur moyen de parvenir à une solution par l’Afrique pour l’Afrique », a expliqué Mme Joly.

La ministre a également rencontré le président du Kenya, William Ruto, ainsi que plusieurs ministres kenyans, pour discuter de la situation au Soudan et de la collaboration plus large entre le Canada et le Kenya.

Elle a ajouté que le Canada pouvait apporter sa contribution en plaidant en faveur de l’accès à l’aide, en investissant ses propres fonds et en faisant entendre la voix de la société civile.

« Les Soudanais eux-mêmes doivent pouvoir s’exprimer dans le cadre des efforts diplomatiques, et c’est ce que le Canada peut faire aussi, en aidant à fournir un moyen pour que ces voix soient entendues », a-t-elle affirmé.