(Montréal) Koray Kevin Celik, mort à Montréal en 2017, est mort dans le cadre d’une intervention qui « n’a pas été faite en application des principes élémentaires d’une bonne intervention policière », conclut le coroner Luc Malouin dans son rapport rendu public vendredi.

Selon le coroner, la mort de M. Celik soulève « une fois de plus » la question de la formation continue des policiers et met en lumière la nécessité de mettre en place un protocole de communication des informations à transmettre aux policiers lors de l’assignation par le 911.

Le manque de formation récente en désescalade de situations tendues des policiers pourrait aussi avoir joué un rôle dans le fait que la situation a dégénéré dans la résidence familiale.

Koray Kevin Celik, âgé de 28 ans, était en état d’ébriété peu après 2 heures du matin le 6 mars 2017, dans l’arrondissement de L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève, dans l’ouest de Montréal. Dans son état, ses parents voulaient l’empêcher de prendre le volant. Ils ont donc appelé le 911 pour demander de l’aide.

Les policiers arrivés sur place ont tenté de maîtriser M. Celik, notamment avec un bâton télescopique. Toutefois, selon ses parents, les policiers ont utilisé une force excessive, frappant à plusieurs reprises leur fils avec leurs pieds et leurs genoux, avant qu’il ne cesse de respirer.

Malgré plusieurs tentatives de réanimation, sur place et à l’hôpital, M. Celik est décédé plus tard au cours de la nuit. Selon le rapport du coroner, son décès a été causé par une combinaison de son intoxication, d’un syndrome du délire agité et d’une hypertrophie cardiaque.

Des erreurs dès l’arrivée des policiers

Dans son rapport, le coroner Malouin blâme notamment la prise d’informations des premiers agents qui se sont rendus à la résidence des Celik cette nuit-là. Il note entre autres que les policiers ont toujours parlé de cet incident comme d’une intervention de routine, ce qui a pu mener à certains automatismes.

« On tient pour acquis que les choses vont bien aller et on baisse la garde, souligne-t-il. On oublie les principes de base et on agit un peu par automatisme. Cependant, un appel de routine peut toujours mal tourner. Le présent dossier en est la preuve. »

Selon lui, les agents « ont oublié les principes d’une bonne intervention policière » et la situation a dégénéré. « Le résultat est celui que l’on connaît maintenant », écrit-il.

Le coroner croit que les premiers agents auraient pu obtenir des informations précieuses en discutant davantage avec les parents du jeune homme avant de se rendre à sa chambre.

« Avec quelques questions, (l’agente) aurait pu apprendre qu’il n’y avait personne d’autre dans la maison que les parents, que M. Celik n’avait pas les clés de l’auto de ses parents – et qu’il ne pouvait donc pas partir – et que les parents de M. Celik pensaient que c’était plutôt une ambulance dont leur fils avait besoin.

« Avec ces renseignements, l’analyse et l’urgence de la situation changent complètement », rappelle le coroner.

La policière en question a toutefois choisi de se rendre seule dans la chambre de M. Celik, ce qui a mis sa vie en danger et provoqué une cascade d’évènements.

L’utilisation de la force

Plus loin dans son rapport, le coroner écorche farouchement le recours à la force des policiers. À son avis, « les policiers se sont mis eux-mêmes en danger et ont provoqué l’utilisation de la force ».

Selon la version des évènements à laquelle il arrive, le coroner mentionne que M. Celik n’était pas armé et qu’il était calme dans sa chambre à l’arrivée des policiers. Il pense que l’arrivée des policiers a probablement été perçue par le jeune homme comme une intrusion injustifiée dans sa résidence.

À un certain moment, quatre policiers sont présents pour l’intervention. C’est alors qu’une agente, craignant pour sa vie, frappe M. Celik avec un bâton télescopique. S’en est suivie une confrontation entre le jeune homme et les agents, lors de laquelle M. Celik est couché au sol afin d’être maîtrisé.

C’est lorsqu’ils se relèvent que les agents constatent que le jeune homme ne respire plus.

Si les agents ont fait valoir qu’ils n’ont donné aucun coup, sauf un coup de genou à la cuisse, à M. Celik, le coroner penche plutôt vers la version des parents de ce dernier.

« J’ai regardé chaque déclaration vidéo des parents faite aux enquêteurs du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) et elles sont très crédibles. Lorsqu’on y ajoute l’ensemble des blessures sur le corps de M. Celik et le sang retrouvé au sol, je crois que M. Celik a reçu plus de coups lorsqu’il était au sol que ce que les policiers ont affirmé lors de leur témoignage », écrit-il.

Le coroner se demande ensuite s’il était justifié que les policiers utilisent autant de force.

« Les policiers ont le droit d’utiliser la force nécessaire pour contrer une situation qui met en danger leur vie. […] Mais, avec respect pour l’opinion contraire, je considère que ce principe et cette justification de la force ne peuvent trouver application dans une situation où les policiers se sont mis eux-mêmes en danger et ont provoqué l’utilisation de la force », selon lui.

Recommandation

Au bout du compte, le coroner Malouin recommande que les services d’urgence et les écoles de police créent un protocole de communication plus détaillé pour les situations où la police est dépêchée à un domicile. Ce protocole devrait inclure des informations sur l’état mental ou le niveau d’agressivité des personnes qui font l’objet d’appels au 911.

L’enquête s’est déroulée sans la participation de la famille Celik, qui croit que le processus a été monté contre elle.

La police de Montréal a refusé de commenter le rapport, vendredi.

La famille Celik poursuit séparément la Ville de Montréal et le service ambulancier de la municipalité. Le dossier est toujours devant les tribunaux.

La famille a par ailleurs obtenu 30 000 $ en dommages-intérêts après avoir poursuivi le BEI au sujet d’un communiqué de presse qui ne donnait que la version policière des évènements, alléguant que M. Celik avait agi de manière agressive – une version qui contredisait celle de ses parents.

Le tribunal a donné raison à la famille, estimant que la déclaration de l’organisme de surveillance de la police n’était ni neutre ni impartiale.

Avec des informations de Sidhartha Banerjee.