Des universités canadiennes collaborent depuis cinq ans à des centaines de projets de recherche avec une école militaire chinoise chargée de développer des armes de pointe pour Pékin, révèle une nouvelle compilation. Les deux universités anglophones de Montréal font partie des établissements les plus actifs en la matière.

C’est ce que révèle une recherche effectuée par la firme de renseignement stratégique Strider à la demande du Globe and Mail, qui en a publié les résultats lundi. Strider est une entreprise spécialisée dans la collecte et l’analyse automatisée de données publiques en langue étrangère. Elle compte parmi ses clients des géants du monde des affaires ainsi que des organismes gouvernementaux.

La recherche a recensé tous les articles scientifiques publiés depuis 2017 par des chercheurs d’universités canadiennes en partenariat avec des collègues de l’Université nationale de technologie de défense, institution chinoise chapeautée par la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois.

Strider a publié un palmarès des 10 universités canadiennes où les chercheurs ont le plus de liens avec l’institut militaire chinois. L’Université de Waterloo arrive en tête, avec 46 articles scientifiques communs au cours des cinq dernières années.

L’Université McGill se classe troisième, avec 25 articles pendant la même période, incluant certains concernant des recherches sur les lasers spatiaux, les systèmes de propulsion hypersoniques et le guidage de vaisseaux spatiaux par satellites.

Dans un résumé de l’article disponible ouvertement en ligne, l’un des chercheurs chinois qui a collaboré avec un partenaire de McGill se définit comme un expert dans le contrôle des missiles guidés.

Un autre établissement montréalais, l’Université Concordia, se retrouve au neuvième rang du classement établi par Strider, avec 19 articles scientifiques communs depuis 2017.

L’Université nationale de technologie de défense a été fondée en 1953. L’ex-président Mao Zedong avait établi personnellement les préceptes de l’établissement. Ses chercheurs et ses diplômés se sont notamment illustrés dans le développement des premiers missiles nucléaires intercontinentaux chinois, capables de frapper les grandes villes américaines, affirme le site web de l’établissement. Ils ont ainsi aidé à « briser le long monopole des États-Unis, de l’Union soviétique et d’autres superpuissances sur les armes nucléaires stratégiques intercontinentales », souligne l’établissement.

L’ancien président de l’établissement Chen Geng avait donné une impulsion au programme, avec une phrase passée à l’histoire : « Les faibles se font intimider et les faibles se font battre. Puisque la Chine doit développer ses missiles par elle-même, commençons avec notre génération ! »

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Chen Geng, ancien président de l’Université nationale de technologie de défense et promoteur du programme de missiles nucléaires chinois

Greg Levesque, cofondateur de Strider, affirme en entrevue avec La Presse que tous les liens entre les chercheurs canadiens et cet établissement sont faciles à trouver. « Ce n’est pas un défi linguistique, dans ce cas. L’Université nationale de technologies de défense est super bien connue, tout le monde sait ce qu’ils font, ils sont sur la liste américaine des restrictions à l’exportation depuis l’administration Obama, et les publications que nous avons identifiées sont en anglais », constate-t-il.

La situation canadienne est semblable à celle de bien des pays qui ont courtisé la Chine pendant longtemps, souligne M. Levesque. Sa recension pour le compte du Globe and Mail ne visait donc pas à présenter le Canada comme un cas plus problématique que d’autres, assure-t-il.

Les collaborations internationales importantes

« La recherche est un effort mondial, et la communauté des chercheurs canadiens s’efforce d’être aussi ouverte que possible aux collaborations mondiales, tout en assurant la sécurité nécessaire à la protection de nos intérêts nationaux », affirme Cynthia Lee, porte-parole de l’Université McGill.

« Nos chercheurs sont reconnus pour leur excellence, et ils cherchent à s’associer aux meilleurs et aux plus brillants d’entre eux », souligne Mme Lee.

L’université ajoute avoir participé aux discussions avec le gouvernement canadien qui ont mené à l’adoption des nouvelles lignes directrices en matière de sécurité nationale pour les partenariats de recherche, en 2021.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Campus de l’Université McGill

« Nous nous efforçons d’avoir une approche équilibrée favorisant à la fois l’échange d’idées, qui est au cœur de la recherche, et l’importance des questions de sécurité. Les collaborations académiques sont très souvent nécessaires aux activités de recherche, et des systèmes sont en place à Concordia pour permettre des collaborations ouvertes qui tiennent aussi compte des aspects de sécurité potentiels de la recherche, y compris les directives du gouvernement canadien en matière de sécurité nationale », affirme de son côté Vannina Maestracci, porte-parole de l’Université Concordia.

Les partenariats recensés par la firme Strider sont ceux qui ont mené à des publications officielles mentionnant les noms des chercheurs. La recherche ne permettait pas de déceler des partenariats qui seraient cachés.

En 2018, La Presse a révélé que le FBI avait identifié le professeur de McGill Ishiang Shih comme suspect dans une affaire de vol de technologies de micropuces américaines au bénéfice de la Chine, dans le but d’alimenter la recherche chinoise dans plusieurs domaines, incluant le secteur militaire. Le professeur aurait même utilisé son laboratoire à l’université dans le cadre de ses activités illicites, selon les enquêteurs américains. M. Shih, qui a quitté McGill depuis, conteste depuis cinq ans la perquisition menée à son domicile par la Gendarmerie royale du Canada dans le cadre de cette affaire. Il n’a pas encore été jugé en cour.

Découplage en cour

Lors d’un breffage avec La Presse avant Noël, des responsables du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont dit constater une prise de conscience du milieu universitaire quant aux relations avec la Chine.

« On est en train de voir beaucoup de découplage des universités avec la Chine », a expliqué un responsable du SCRS, qui ne peut être identifié en raison de la nature top secrète de son travail.

Lors de ses discussions avec le milieu universitaire, le SCRS s’est fait reprocher à quelques reprises de faire du profilage racial ciblant les chercheurs d’origine chinoise. Les agents de renseignement canadiens ont toutefois répliqué que la menace qui les préoccupe vient du gouvernement du Parti communiste chinois, un régime autoritaire dont les principales victimes sont justement les membres de la communauté chinoise, ici et ailleurs.

Établissements canadiens ayant le plus collaboré avec l’Université nationale de technologie de défense

1. Université de Waterloo

2. Université de l’Alberta

3. Université McGill

4. Université de Toronto

5. Université de Colombie-Britannique

6. Université Simon Fraser

7. Université de Victoria

8. Université McMaster

9. Université Concordia

10. Université de Calgary

Source : Strider Technologies Inc.

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  • 240
    Nombre total d’articles universitaires publiés par des chercheurs universitaires canadiens en partenariat avec l’Université nationale de technologie de défense en Chine depuis cinq ans.
    source : Strider Technologies inc.