(Québec) Les dénonciations à l’Unité permanente anticorruption (UPAC) ont augmenté de 139 % cette année, en raison des nombreux signalements de fabrication de faux passeports vaccinaux dans le réseau de la santé. Dans des documents obtenus par La Presse, les policiers évoquent des machines à compter l’argent, des biens de luxe, des listes d’acheteurs circulant sur des applications cryptées et la saisie de centaines de milliers de dollars en lien avec les enquêtes sur ce phénomène.

L’UPAC a présenté mardi son rapport annuel, qui fait état de 795 dénonciations d’actes répréhensibles reçues au cours de l’année 2022, dont environ 300 en lien avec la production de faux passeports vaccinaux.

« La pandémie a eu un impact direct sur le nombre de dénonciations l’année dernière et également sur le volume de travail. Puisque c’étaient des gens qui étaient titulaires de charges publiques qui avaient fait de faux passeports vaccinaux, c’est pourquoi l’UPAC s’en est mêlé », a expliqué le commissaire à la lutte contre la corruption, Frédérick Gaudreau, en conférence de presse à Québec.

L’organisation dit avoir ouvert 41 enquêtes liées aux passeports vaccinaux. Déjà, 69 constats d’infraction ont été donnés à des personnes qui ont acquis les preuves vaccinales frauduleuses, alors que des accusations criminelles ont été portées contre trois employés du réseau de la santé qui auraient fabriqué les faux documents.

« Ce sont des gens en qui la population a confiance et ça prend un haut standard d’intégrité », a commenté M. Gaudreau au sujet des employés arrêtés. Ce phénomène posait aussi « un enjeu de santé publique important », affirme-t-il.

Dans une déclaration sous serment déposée en cour et consultée par La Presse, une sergente-enquêteuse de l’UPAC va encore plus loin. « La fabrication de fausses preuves vaccinales représente une atteinte à l’intégrité de l’État », peu importe si elle est l’œuvre de fonctionnaires, dit-elle, car les passeports vaccinaux sont des documents officiels du gouvernement.

D’autres personnes devraient être accusées en 2023, notamment de fraude, d’abus de confiance par un fonctionnaire public, de fraude envers le gouvernement, de complot, de fabrication de faux et de recyclage des produits de la criminalité.

De l’argent facile

C’est en novembre 2021 que l’UPAC a été mandatée pour s’occuper des enquêtes sur les passeports vaccinaux frauduleux. Des corps policiers de partout au Québec recevaient alors des signalements et la décision a été prise de centraliser les dossiers au sein du corps policier spécialisé dans la lutte contre la corruption. Une équipe d’enquêteurs affectés à ce phénomène a été mise sur pied au sein de l’organisation.

Les policiers en ont vu de toutes les couleurs. Ils ont saisi plus de 130 000 $, dont 30 000 $ en argent comptant, à un agent administratif embauché par l’entremise du site « Je contribue » pour faire de la saisie de données au centre de vaccination du Stade olympique. L’employé en question, Adams Diwa, avait déclaré à La Presse en janvier dernier avoir entré de fausses preuves de vaccination dans le système informatique pour une soixantaine de personnes. « C’était de l’argent très facile et leur sécurité était tellement médiocre, c’est comme s’ils te disaient : fais-le ! », avait-il expliqué en entrevue.

Lisez notre reportage sur les passeports vaccinaux frauduleux

Selon les déclarations sous serment des enquêteurs déposées en cour, ce sont toutefois 624 personnes qui auraient bénéficié de ses services illégalement. L’UPAC affirme que l’homme recevait des noms à entrer et de l’argent de la part d’un entremetteur qui le contactait via une application cryptée. M. Diwa n’a pas été accusé à ce stade et l’enquête à son sujet se poursuit. L’UPAC, qui mène plusieurs enquêtes de front, dit avoir priorisé certains cas urgents pour le dépôt d’accusations.

Les perquisitions dans d’autres dossiers ont permis de saisir plusieurs machines à compter de l’argent, une importante collection de cartes de hockey et de baseball, des bijoux, des vêtements de luxe et des dizaines de milliers de dollars en argent comptant.

L’interrogatoire de suspects qui travaillaient dans le réseau de la santé montre aussi que d’autres listes d’acheteurs circulaient sur des applications cryptées.

Une perquisition chez une amie d’un des suspects a posé problème lorsqu’est venu le temps de saisir un paquet de 7000 $ en argent, toujours selon les documents de cour. L’UPAC croyait qu’il s’agissait du fruit de la vente de passeports vaccinaux, mais la résidante des lieux a rapidement réclamé la possession du magot, en expliquant l’avoir gagné grâce à la prostitution, ce qui pourrait mettre la somme hors d’atteinte des enquêteurs anticorruption.

Dans au moins un dossier, les policiers croient qu’une infirmière a été corrompue par un homme qui fréquentait un groupe de tueurs à gages liés aux gangs de rue d’allégeance « rouge » de Montréal-Nord et qui aurait voulu obtenir une fausse preuve de vaccination, toujours selon les documents d’enquête déposés en cour.

Pendant un certain temps, les policiers ont craint qu’une organisation structurée coordonne le trafic et la production de faux passeports vaccinaux à travers le Québec, mais malgré de longues démarches d’enquête, ils n’ont trouvé aucune preuve en ce sens. Les travailleurs de la santé corrompus semblaient opérer isolément et n’avaient pas de contacts communs identifiables. La piste d’un réseau s’est révélée « une impasse » jusqu’ici, affirme un sergent-détective dans sa déclaration sous serment.

Augmentation exponentielle du volume

Le commissaire Frédérick Gaudreau affirme que ses enquêteurs font face à d’importants défis dans leurs enquêtes sur la corruption en général, notamment l’augmentation « exponentielle » du volume de la preuve.

La multiplication des supports informatiques fait qu’une perquisition mène souvent à la saisie de millions de pages de documents, alors que la jurisprudence favorise un maximum de divulgation de la preuve aux accusés. Plusieurs dossiers d’envergure pilotés par différentes organisations policières sont tombés à l’eau en raison de la difficulté de gérer cette volumineuse preuve au cours des dernières années.

Lisez « L’UPAC veut changer les règles du jeu »

Le tri du matériel qui pourrait être protégé par le secret professionnel de l’avocat est aussi fastidieux dans les dossiers de corruption : l’UPAC estime qu’il faut en moyenne autour de 1000 jours pour avoir accès à la preuve dans ces dossiers en raison de cet exercice, qui pourrait être facilité par un nouvel encadrement législatif.

« C’est le législateur fédéral qui doit être interpellé » à cet effet, affirme le commissaire.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse

En savoir plus
  • 88
    Nombre de policiers enquêteurs à l’UPAC
    SOURCE : Unité permanente anticorruption
  • 28
    Nombre de personnes accusées au criminel et au pénal à la suite d’enquêtes de l’UPAC en 2022
    23
    Nombre de personnes condamnées au criminel et au pénal à la suite d’enquêtes de l’UPAC en 2022
    SOURCE : Rapport annuel de gestion 2021-2022, incluant le Rapport d’activités de l’UPAC