Depuis 35 ans, Carmen Martel et Roch-André Brissette aimaient observer les oiseaux, les écureuils, les lièvres et les chevreuils qui venaient se balader dans le boisé centenaire qui bordait la cour de leur maison de Granby. Ces scènes sont maintenant chose du passé. En juillet dernier, la forêt qui jouxtait leur propriété a été presque entièrement rasée pour faire place à une nouvelle maison des aînés.

« C’est un désastre […] On nous promettait une ceinture verte tout autour du projet. Ils n’ont pas respecté ça », déplore Mme Martel, en nous montrant le trou béant qui se trouve à moins de deux mètres de son terrain.

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En tout, seule une quarantaine d’arbres matures ont été préservés sur le terrain, qui en comptait autrefois 377.

Le jour du passage de La Presse mercredi, des camions et des travailleurs s’activaient dans l’immense chantier situé en plein cœur d’un quartier résidentiel de Granby. En tout, seule une quarantaine d’arbres matures ont été préservés sur le terrain, qui en comptait autrefois 377.

« En trois jours, tout était parti »

En 2020, des citoyens du quartier se sont inquiétés de l’installation d’une maison des aînés dans le secteur. Le terrain choisi, où se trouvait une érablière centenaire, appartient au gouvernement et jouxte un établissement offrant des soins psychiatriques.

Les citoyens ont fait entendre leur voix au niveau municipal. Mais en juillet dernier, ce fut le choc : la machinerie est arrivée et a tout rasé. « En trois jours, tout était parti », souffle M. Brissette en montrant la souche d’un érable mature qui ombrageait autrefois sa cour.

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Clément Roy, trésorier des Ami.e.s des boisés de Granby, près du chantier de la nouvelle maison des aînés

« Les citoyens ont senti qu’ils se sont fait rouler. La valeur de leur maison est tombée. Leur vie a changé. On a arraché un poumon à la ville », déplore Clément Roy, trésorier des Ami.e.s des boisés de Granby, qui tiendra une conférence de presse ce vendredi pour dénoncer la situation.

Médecin spécialiste en microbiologie-infectiologie, la Dre Mirabelle Kelly se souvient du jour où tout a été coupé. « Quand j’ai vu le terrain, j’étais sous le choc. Je n’en revenais pas qu’on fasse ça sur un terrain public du gouvernement. On a de la difficulté à préserver les boisés sur les terrains privés. Pourquoi on ne protège pas mieux ceux qui sont publics ? », demande-t-elle.

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La Dre Mirabelle Kelly, médecin spécialiste en microbiologie-infectiologie

La Dre Kelly est d’autant plus « triste et en colère » qu’en ces temps de réchauffement climatique, conserver les arbres matures devrait selon elle être « une priorité ». « Et on ne parle pas de qualité de l’air. D’îlot de chaleur. De perméabilité des sols… », énumère-t-elle.

La médecin spécialiste souligne aussi que les boisés en milieu urbain jouent un rôle important pour la santé des gens.

Ce qui vient me chercher, c’est que ce sont nos institutions de santé et notre gouvernement qui sont complices de cette destruction-là et qui n’ont pas tenu compte des effets sur la santé et des services écosystémiques que rendait cette forêt-là aux citoyens.

La Dre Mirabelle Kelly, médecin spécialiste en microbiologie-infectiologie

Le CIUSSS de l’Estrie – CHUS indique que le terrain a été choisi parce qu’il « répondait à tous les critères établis par le MSSS [ministère de la Santé et des Services sociaux] ». Dans un document d’orientation daté de 2021, le MSSS indiquait qu’une maison des aînés « devrait être située au cœur de la communauté, près des secteurs d’activité ».

La porte-parole du MSSS, Marie-Claude Lacasse, indique que les terrains recherchés étaient « en général intégrés dans des milieux urbains ou villageois comptant peu de boisé et évitant les milieux humides ». « Dans les cas où du déboisement était nécessaire, les professionnels ont eu la consigne de préserver le maximum de verdure », dit-elle.

Le terrain « apparu tout désigné »

À la Société québécoise des infrastructures (SQI), qui pilote les 46 projets de maisons des aînés au Québec, on reconnaît que « la coupe de certains arbres a été nécessaire pour le développement de quelques projets ». « Cependant, lorsque cela a été nécessaire, des spécialistes [ingénieurs forestiers et arboristes] ont été engagés pour d’abord mitiger la coupe et ses impacts puis pour replanter des arbres », indique le porte-parole Francis Martel. Environ 46 arbres seront plantés à Granby. « Mais ce sera des chicots », craint Mme Martel.

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L’immense chantier est situé en plein cœur d’un quartier résidentiel de Granby.

Dans une réponse à une plainte formulée l’été dernier par la Dre Kelly, la directrice exécutive de projets de la SQI, Sophie Laporte, a écrit que le terrain de Granby était « apparu tout désigné, car il n’était pas contaminé, ne présentait pas de milieu humide ni d’enjeu archéologique ».

Dans le document, on peut voir que la SQI s’engageait à « conserver une bande d’arbres de 5 mètres » autour du projet. À la Ville de Granby, on confirme avoir exigé par dérogation la préservation de cette bande. Mais on reconnaît que « l’entrepreneur n’a pas respecté la délimitation », car une clause le lui permettait. La Ville dit qu’elle « veillera au respect de la restitution de la bande de cinq mètres à la fin des travaux ».

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Le chantier de la nouvelle maison des aînés à Granby

« Dans le cadre du projet de la Maison des aînés de Granby, on a demandé à la SQI, le maître d’œuvre du projet, le maximum possible avec les pouvoirs réglementaires que détient la Ville en matière d’aménagement du territoire », a indiqué par courriel la mairesse, Julie Bourdon.

D’autres villes dans la même situation

Clément Roy souligne que le cas de Granby n’est pas unique. Des citoyens de Sainte-Foy et de Val-d’Or ont décrié au cours des derniers mois le fait que des boisés étaient rasés pour faire place à des maisons des aînés chez eux. En octobre 2021, Nature Québec a lancé la campagne SOS pour les maisons des aînés, en collaboration avec l’Association québécoise des médecins pour l’environnement et La planète s’invite en santé, pour dénoncer l’établissement de maisons des aînés sur des terrains boisés, rappelle Cyril Frazao, directeur exécutif de Nature Québec.

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Maisons bordant le chantier de la maison des aînés à Granby

« Ce sont deux solutions en opposition […] On détruit des boisés, des arbres matures pour venir mettre des maisons des aînés et des bacs d’agriculture urbaine à la place. Ça n’a pas de bon sens », dit-il.

M. Frazao déplore que la grille d’évaluation des terrains utilisée par la SQI pour ses projets « ne tienne pas compte du poids environnemental de choisir d’y construire ». « Un arbre mature, ça vaut environ 5000 $ », ajoute M. Roy.

La Dre Kelly estime que le Québec doit absolument apprendre de ce qui se produit avec les maisons des aînés pour éviter que cela ne se reproduise. « On a besoin de tous ces boucliers pour contrer les effets du réchauffement climatique », dit-elle.

Disant la SQI « très sensible à la préservation de l’environnement », son porte-parole, Francis Martel, affirme qu’un comité de travail se penche actuellement « sur l’intégration de différents aspects du développement durable, dont font partie les services écosystémiques, pour bonifier les critères de choix des terrains ».

Tous les jours, Mme Martel et M. Brissette regardent le chantier de la maison des aînés à travers la clôture de métal qui ceinture le terrain en se rappelant les nombreuses heures qu’ils ont passées dans le boisé à y faire du ski de fond, à marcher ou à pique-niquer avec leurs enfants. « Aujourd’hui, il ne reste presque rien. C’est dur à accepter. Il me semble qu’on aurait pu faire mieux », dit Mme Martel.

Déjà des retards

En tout, 46 projets de maisons des aînés sont actuellement dans les cartons du gouvernement. Seulement 2 des 33 maisons promises pour 2022 seront livrées dans les temps. Pour exploiter ces établissements, 5726 postes à temps complet devront être pourvus.

Lisez l’article « Maisons des aînés : Québec repousse l’échéancier à 2023 » Lisez l’article « Pénurie de personnel : les maisons des aînés siphonnent le réseau »
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    Nombre de places dans la future Maison des aînés de Granby, dont la date de livraison est prévue pour l’été 2023
    SOURCE : CIUSSS de l’Estrie – CHUS