(Québec) Le procès intenté aux gouvernements par des opposants au tramway de Québec afin de faire dérailler le projet a commencé lundi avec des allégations de conflit d’intérêts au sommet de l’État. Une procureure qui représente Québec a dénoncé des arguments « qui nourrissent des théories du complot ».

« Mensonges », « tricheries », « tromperies envers les citoyens », « mauvaise foi »… L’avocat Guy Bertrand n’a pas mâché ses mots au palais de justice de Québec.

« Vous devez rejeter le décret [du gouvernement en faveur du tramway], car il n’a pas été fait avec honnêteté envers la population », a lancé l’avocat.

MBertrand a laissé entendre que la décision de la Ville de Québec et du gouvernement Legault d’aller de l’avant avec le tramway découlait d’un conflit d’intérêts apparent.

Selon lui, les autorités ont décidé de construire un tramway qui va profiter à l’entreprise française Alstom, de laquelle l’État québécois est actionnaire par l’entremise de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).

MBertrand a aussi soulevé des doutes sur l’indépendance d’un spécialiste embauché par le ministère des Transports du Québec (MTQ) pour analyser le projet de tramway. Jean-Marc Charoud avait conclu que le tramway était le bon moyen de transport en commun pour la capitale dans un rapport de novembre 2020.

Or, coup de théâtre selon MBertrand, l’homme a été nommé quatre mois plus tard au conseil d’administration de CDPQ Infra, une apparence de conflit d’intérêts.

« Il a une théorie du complot et veut la mettre devant vous », a réagi Gabrielle Ferland-Gagnon, avocate pour le Procureur général du Québec. Québec est mis en cause devant la Cour supérieure, car le gouvernement entend financer une partie importante du projet estimé à quelque 4 milliards de dollars.

Les sous-entendus de MBertrand « nourrissent des théories du complot envers l’État québécois et les médias », a-t-elle ajouté.

« Je trouve ça très péjoratif, l’expression théorie du complot », a rétorqué MDominique Bertrand, du cabinet de Guy Bertrand. « Ça manque de respect envers les plaignants. »

« C’est un viol »

La poursuite a fait entendre ses quatre témoins lundi, dont deux experts. Les requérants demandent l’arrêt du projet jusqu’à la tenue d’un référendum.

Doris Chabot, une courtière immobilière qui habite le boulevard René-Lévesque et fait partie des principaux opposants au projet, a raconté que son terrain allait être amputé pour faire passer le tramway. Quelque 300 expropriations sont prévues le long du tracé de 19,3 kilomètres.

« Ils prennent de la rue jusqu’à ma galerie, environ trois mètres. Ça enlève mon stationnement pour ma voiture électrique », a dit Mme Chabot.

« On se sent violés, c’est un viol », a ajouté la femme. Elle a aussi laissé entendre que les journalistes n’avaient pas couvert les activités des opposants, car la Ville de Québec avait investi 4 millions en publicités dans les médias.

« On se présente ici à genoux, les mains attachées dans le dos, bâillonnés », a lancé Mme Chabot au juge et devant la dizaine de journalistes qui s’étaient déplacés pour couvrir le procès.

Au même moment, sur les réseaux sociaux, une ancienne candidate à la mairie de Québec, défaite par Régis Labeaume, indiquait que les opposants allaient tout faire pour stopper le projet.

« Que vous le souhaitiez ou non, on va continuer de se placer devant comme à la place Tian’anmen en 1989 », a écrit sur Twitter Anne Guérette, qui habite la Haute-Ville.

Le deuxième témoin, l’ancien journaliste Donald Charette, a dit s’être senti berné par le maire de Québec, Bruno Marchand. Selon lui, le maire avait promis d’améliorer le projet de tramway, notamment en sauvant des arbres ou en retirant la dalle de béton qui doit recevoir les rails.

« Il semblait sincère, on croyait qu’il allait améliorer le projet, sauf qu’après coup, on s’est rendu compte que rien n’allait être fait », a dit l’ancien éditorialiste au journal Le Soleil.

La poursuite a ensuite présenté sa première experte. Fanny Tremblay-Racicot, professeure à l’École nationale d’administration publique, a fait valoir que le projet n’était pas le bon pour Québec et que le processus décisionnel n’avait pas été rationnel.

Elle affirme que les modes de transport légers, comme le trambus, n’ont pas été suffisamment explorés.

« Je suis un juge, je ne suis pas un gouvernement, je ne suis pas là pour dire si la décision est bonne ou non, je suis là pour dire si elle est légale », a lancé le juge Clément Samson après quelque quatre heures d’audience.

Les avocats de la Ville de Québec et du Procureur général du Québec ont été très expéditifs dans leurs contre-interrogatoires.

Guy Bertrand a entamé lundi ses plaidoiries. Il les terminera mardi, puis la Ville de Québec et le Procureur général feront les leurs dès mercredi.