Une formation déficiente des pompiers et des problèmes avec le bateau de sauvetage utilisé par le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) expliquent l’accident du 17 octobre 2021 qui a coûté la vie au pompier Pierre Lacroix, au cours d’une opération de sauvetage dans les rapides de Lachine, sur le Saint-Laurent.

Ce sont les conclusions de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui a rendu public jeudi son rapport sur la mort de l’homme de 58 ans.

Mais le syndicat des pompiers déplore le fait que la CNESST n’impose aucun correctif à la Ville de Montréal, qui rétorque qu’elle a déclenché sa propre enquête interne et qu’elle mettra en place toutes les mesures nécessaires pour la sécurité de ses employés.

La Ville a notamment, la semaine dernière, mis hors service les bateaux Hammerhead, comme celui impliqué dans l’accident mortel.

Coincé sous l’embarcation

Le soir du 17 octobre 2021, Pierre Lacroix se trouvait dans l’embarcation Hammerhead 1864 pour effectuer le sauvetage de deux plaisanciers, dont le bateau dérivait vers les rapides de Lachine.

Pendant que lui et trois autres pompiers se préparaient à effectuer le remorquage du bateau de plaisance, leur embarcation s’est retrouvée dans un creux de vague et l’eau s’est engouffrée à l’intérieur, ce qui l’a renversée, indique le rapport de la CNESST.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Chapelle ardente organisée à la mémoire du pompier Pierre Lacroix, en octobre 2021

Les quatre pompiers sont tombés dans les flots. Alors que ses trois collègues ont été repêchés, Pierre Lacroix est resté coincé sous le bateau. Son corps a été localisé plusieurs heures plus tard. L’embarcation n’était pas équipée de GPS, ce qui a compliqué les recherches.

Les enquêteurs de la CNESST soulignent que les tests de stabilité effectués sur le bateau Hammerhead ne tenaient pas compte de l’effet d’un remorquage.

De plus, « les pompiers interviennent sur la base d’informations incomplètes lors d’un sauvetage dans un secteur des rapides de Lachine qui va au-delà des limites de navigabilité de leur embarcation », déplore la CNESST.

Enfin, la formation déficiente de l’équipage du 1864 ainsi que des intervenants du poste de commandement riverain exposait les pompiers à un danger de noyade dans cette zone non balisée des rapides de Lachine, mentionne le rapport.

Zone interdite

Dès le 29 octobre 2021, dans son rapport d’intervention, la CNESST a interdit toute navigation, peu importe l’embarcation utilisée par les pompiers, dans la zone non balisée des rapides de Lachine.

La CNESST a signifié à l’employeur, la Ville de Montréal, un constat d’infraction en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST). Pour ce type d’infraction, le montant de l’amende varie de 17 680 $ à 70 727 $ pour une première infraction.

L’organisme a aussi recommandé au ministère de la Sécurité publique de mettre en place un groupe de travail pour améliorer les règles lors des sauvetages nautiques, pour protéger la sécurité des intervenants.

Selon l’Association des pompiers de Montréal, le syndicat qui représente les employés du SIM, la CNESST aurait dû aller plus loin en obligeant la Ville à apporter des correctifs pour protéger ses travailleurs.

« Les lacunes observées sont réelles, et la CNESST avait le pouvoir d’imposer des mesures correctives, mais ils ne font que soulever la problématique, sans rien exiger », déplore Richard Lafortune, vice-président de l’association.

Selon lui, des mesures vigoureuses sont nécessaires pour rendre les opérations nautiques plus sécuritaires, notamment en améliorant le soutien aux postes de commandement riverains, qui auraient besoin de formations données par des techniciens en sauvetage nautique, dit-il.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Alain Vaillancourt, responsable de la sécurité publique au comité exécutif de la Ville de Montréal

Du côté de la Ville, le responsable de la sécurité publique au comité exécutif, Alain Vaillancourt, indique que, en plus d’analyser le rapport de la CNESST, il attend les conclusions du rapport du coroner sur la mort de Pierre Lacroix. Une enquête interne est aussi en cours sur la question.

Manque de bateaux

La semaine dernière, la Ville a retiré de son service les trois bateaux Hammerhead utilisés pour les opérations de sauvetage. C’est que le SIM a retrouvé, en préparant ses réponses dans le cadre d’un reportage de Radio-Canada, un rapport datant de 2008 qui soulevait des questions sur la sécurité de ces embarcations.

Lors d’opérations d’entraînement, en 2009 et 2010, des embarcations Hammerhead avaient aussi chaviré, note le rapport de la CNESST.

Douze nouveaux bateaux, des Titan, ont été commandés par le SIM, mais ils ne sont pas encore fonctionnels, puisque les pompiers n’ont pas reçu de formation pour les utiliser.

En ce moment, il n’y a donc que trois ou quatre bateaux de marque Capelli disponibles pour les pompiers qui auraient un sauvetage à faire, fait remarquer Richard Lafortune.

La Ville affirme qu’elle peut recevoir de l’aide des municipalités environnantes en cas de besoin, mais cette situation préoccupe au plus haut point l’opposition à l’hôtel de ville.

« Il est très très inquiétant de voir l’administration Plante faire la promotion de sports nautiques auprès des Montréalais dans des zones interdites, où les autorités peuvent difficilement intervenir. C’est complètement irresponsable et inacceptable de jouer ainsi avec la sécurité des citoyens pour du surf et du kayak », dénonce Abdelhaq Sari, porte-parole de l’opposition officielle en matière de sécurité publique.