Des juristes s’inquiètent du fait que Québec ait retiré le droit de se faire accompagner par un avocat aux candidats à l’immigration convoqués en entrevue de sélection – ils doivent maintenant en faire la demande. Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) du Québec assure que ces demandes sont acceptées lorsque nécessaire. Mais il les a toutes refusées, jusqu’à présent.

Depuis décembre 2021, le Guide des procédures d’immigration prévoit qu’un candidat à l’immigration convoqué en entrevue doit demander la permission au MIFI s’il souhaite être assisté par un avocat. « Cette demande doit contenir des motifs convaincants qui justifient la présence d’un avocat », précise le Guide.

Ce nouveau fardeau imposé au candidat « équivaut à lui nier ce droit à la représentation par avocat et constitue de ce fait un manquement au principe d’équité procédurale », soutient le Barreau du Québec. L’ordre professionnel se dit « préoccupé par cette atteinte » et demande que cette section du Guide « soit revue et modifiée pour rétablir le droit à l’avocat », indique la porte-parole Martine Meilleur. Ce droit était « prévu et balisé » depuis 1984.

« C’est une chose d’accorder le droit à l’avocat, mais c’en est une toute autre, c’est beaucoup plus sérieux, que de constater qu’on retire cette position-là qui a été par défaut depuis des années », déplore MMarc-André Séguin, qui représente la section Immigration et Citoyenneté de l’Association du Barreau canadien, division du Québec (ABC-Québec).

Selon Me Séguin, qui a participé à plus d’une centaine de ces entrevues, la présence d’un avocat peut faciliter ce processus souvent complexe et éviter les malentendus entre l’agent du MIFI et le candidat. « Mais aussi, et ça, ce sont des choses que j’ai vécues personnellement, il peut y avoir des abus de procédure de la part d’un officier du Ministère, et là c’est à l’avocat d’intervenir pour exiger que les procédures soient respectées », ajoute-t-il.

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Me Marc-André Séguin, de l’Association du Barreau canadien, division du Québec

C’est aussi ce que fait valoir l’ABC-Québec dans une lettre envoyée au MIFI en juillet, également signée par l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI).

L’entrevue est « une étape déterminante pour un candidat à l’immigration, car elle peut avoir un impact majeur sur sa vie, à savoir l’impossibilité d’immigrer au Québec, souligne-t-on dans cette lettre. Pour plusieurs candidats, le fait de s’établir au Québec représente le projet de toute une vie. »

« Nous comprenons mal les raisons qui ont motivé ce changement fondamental de position du MIFI » alors que « l’ABC-Québec, l’AQAADI et les autres associations d’avocats en immigration n’ont jamais été consultées ni même informées de ces changements », poursuit-on.

En réponse, « le MIFI a exigé à l’ABC et [aux] cosignataires […] de s’inscrire au registre des lobbyistes pour pouvoir échanger avec leurs représentants », regrette Me Séguin. « Beaucoup de nos membres s’inquiètent de la tendance constatée auprès du Ministère, on s’inquiète du fait qu’on sente moins d’ouverture au dialogue, on s’explique mal comment ça se fait », dit-il.

Le MIFI assure de son côté que « la présence d’un avocat durant une entrevue d’immigration est toujours accordée lorsque cela est nécessaire pour respecter le principe de l’équité procédurale ». Il ne l’a cependant jamais jugée nécessaire à ce jour.

Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles règles et jusqu’au 19 septembre dernier, 505 personnes ont été convoquées à une entrevue, indique le Ministère. Seulement cinq d’entre elles ont demandé à être accompagnées d’un avocat. « Aucune des cinq demandes d’autoriser la présence d’un avocat lors d’une entrevue n’a été acceptée », admet le porte-parole Gabriel Bélanger. Deux de ces candidats ont aussi vu leur demande d’immigration rejetée.