En 2026, le réseau cellulaire sera enfin complété, a promis François Legault avant même le déclenchement des élections. Dans les nombreuses régions encore privées de couverture, où l’absence de signal peut tourner au drame, on s’indigne que ce ne soit pas déjà fait.

Des téléphones cellulaires muets

Le 12 février 2021, l’électricien Pascal Lavoie est parti de Chibougamau vers Waskaganish par la route du Nord, un chemin familier qu’il empruntait depuis 17 ans pour aller travailler dans des collectivités autochtones du nord du Québec.

Cette route de gravier isolée étant dépourvue de couverture cellulaire, il avait l’habitude de téléphoner à sa femme en arrivant à Nemaska, le premier village dans lequel il captait le signal. « Il m’appelait pour me dire : “Arrête de t’inquiéter, mon bébé, je suis rendu” », raconte Frédérique Mailloux, sa conjointe de près de 30 ans.

Ce soir-là, elle attendait son appel un peu après 22 h. « Mais en fin de compte, non. Ce sont les policiers qui sont venus à 21 h 30 pour me dire qu’il avait eu un accident fatal », souffle Mme Mailloux.

L’évènement s’était produit plus de huit heures auparavant, lorsque le VUS de M. Lavoie avait abouti dans un remblai de neige à la suite d’une collision.

L’homme de 47 ans étant inconscient, le conducteur de l’autre véhicule a tenté de joindre les secours avec son émetteur-récepteur radio, sans succès. Une trentaine de minutes se sont écoulées avant qu’un agent de la faune qui passait par là puisse appeler à l’aide grâce à son téléphone satellite. À l’arrivée des premiers répondants, trois heures après l’accident, « M. Lavoie était décédé depuis longtemps », a indiqué la coroner dans son rapport.

PHOTO FOURNIE PAR FRÉDÉRIQUE MAILLOUX

Pascal Lavoie, décédé à 47 ans des suites d’un accident de la route dans une zone sans signal cellulaire.

« Si M. Lavoie avait pu recevoir des premiers soins et être transporté rapidement vers un hôpital équipé pour traiter les polytraumatisés, son sort aurait peut-être été différent », a souligné Me Geneviève Thibault. « Il est certain qu’un délai de plusieurs heures avant l’arrivée des premiers répondants mérite qu’on réfléchisse à des moyens plus efficaces. »

Les gens en région auraient dû avoir une couverture depuis un bon bout, eux aussi. On est souvent oubliés pour les services, surtout dans le Nord-du-Québec.

Frédérique Mailloux

« Il est tellement facile de ne voir que les statistiques et d’ignorer les pertes, les vies changées et détruites par la perte d’un être aimé », dénonce-t-elle.

« Mon fils […] a perdu la présence d’un père à 20 ans et j’ai perdu mon conjoint, l’amour de ma vie. »

PHOTO FOURNIE PAR FRÉDÉRIQUE MAILLOUX

Frédérique Mailloux et Pascal Lavoie étaient en couple depuis près de 30 ans.

Deux histoires qui auraient pu mal tourner

Les occupants des deux véhicules qui ont percuté un orignal sur la Côte-Nord le 9 septembre dernier ont eu de la chance : beaucoup de tôle froissée, mais pas de blessés. Jessica Boudreau, enceinte de 15 semaines, n’en était pas moins inquiète.

« C’est sûr que j’ai eu peur ! Quand les policiers sont arrivés, j’ai dit que je voulais vérifier que mon bébé était correct, donc ils m’ont tout de suite transférée en ambulance à Sept-Îles. »

L’expression « tout de suite » est bien relative sur le tronçon de la route 138 qui traverse la MRC de Minganie, dont de grandes portions sont dépourvues de couverture cellulaire. En cas de détresse, il faut espérer qu’un autre conducteur passe par là et arrive au plus vite dans une zone lui permettant de téléphoner.

L’accident est arrivé à 19 h 30. La police a reçu l’appel à 20 h 30. Les policiers et l’ambulance sont arrivés à 21 h 30. On était dehors, une chance qu’il faisait beau !

Jessica Boudreau

PHOTO FOURNIE PAR THÉRÈSE BOURDAGES

La camionnette à bord de laquelle Mme Bourdages 
et son mari ont heurté un orignal

Et la route 138 n’est pas seulement à découvert en direction de Havre-Saint-Pierre, signale Thérèse Bourdages, qui était passagère de l’autre véhicule.

PHOTO FOURNIE PAR THÉRÈSE BOURDAGES

Thérèse Bourdages

De Sept-Îles vers Baie-Comeau, il y a des bouts qui n’ont pas de réseau non plus. Il y a tellement de gens qui circulent sur la 138, c’est notre route, tout passe par là.

Thérèse Bourdages, résidante de Sept-Îles

C’est la deuxième fois en moins de six mois que le manque de couverture cellulaire sur la 138 donne des sueurs froides dans la région.

En mai dernier, Valéry Bélisle s’est retrouvée coincée dans sa voiture à la suite d’une sortie de route, tôt le matin, à un endroit où personne ne pouvait la voir. Elle a finalement réussi à s’extirper de son véhicule pour remonter jusqu’à la chaussée, où elle a reçu de l’aide après une trentaine de minutes. « Si elle ne s’en sortait pas par elle-même, personne ne venait la chercher », a témoigné sa mère, Josée Brunet, également mairesse de Rivière-Saint-Jean, l’un des villages de la MRC qui attendent toujours d’être reliés au réseau.

Lisez « Sous le choc, sans réseau »

Un dangereux suspect ignoré

En revenant au village dans l’après-midi du 2 septembre dernier, Paquerette Poirier n’en croyait pas ses yeux. « Les gens faisaient leur barbecue, leur gazon. Je ne comprenais plus rien : on parlait d’un homme armé ! », raconte la mairesse de Saint-Elzéar, dans la MRC de Bonaventure, en Gaspésie.

Un message de Québec En Alerte diffusé sur les téléphones cellulaires venait de signaler un « suspect armé et dangereux » dans le secteur, recommandant de rester à l’intérieur, de verrouiller les portes et de s’éloigner des fenêtres. Pendant que tout le Québec sursautait au bruit strident de l’alerte, les téléphones des citoyens à risque demeuraient largement muets.

« Ma sœur a eu son alerte après 56 minutes, quand elle est sortie sur son patio. C’est un peu du n’importe quoi », s’indigne la mairesse.

PHOTO FOURNIE PAR PAQUERETTE POIRIER

Paquerette Poirier, mairesse de Saint-Elzéar, en Gaspésie

Saint-Elzéar n’est toujours pas couvert par le réseau. Pour utiliser leur téléphone cellulaire à la maison, les résidants doivent le connecter à leur internet sans fil.

Le suspect armé a été retrouvé le soir même, sans avoir fait de victimes. Mais le cellulaire sur l’internet demeure un pis-aller.

« Ça ne capte pas le signal dans toutes les parties de la maison, et dès qu’on s’éloigne un peu, on n’a plus de réseau », explique Mme Poirier.

Elle en avait déjà fait la douloureuse expérience lorsqu’elle a trouvé son conjoint en train de faire des convulsions, il y a deux ans.

« J’ai appelé le 911, ç’a coupé. J’ai rappelé, ç’a recoupé… »

Son conjoint a reçu un diagnostic de cancer et est mort depuis, mais Mme Poirier en est restée marquée.

« J’ai trouvé ça affreux comme expérience ! Je ne voudrais pas que d’autres personnes vivent ça parce que ç’a été traumatisant ! »

Du rapiéçage partiel

Ottawa a approuvé des demandes de financement de Telus pour couvrir certaines zones non desservies dans les MRC de Minganie et de Bonaventure. Mais ça ne règle pas tout.

« Avant de dire bravo, je veux être assuré que tous mes concitoyens vont être servis, dans la région et lors de leurs déplacements vers Sept-Îles, qui est un peu notre métropole », indique le préfet de Minganie, Luc Noël.

L’enveloppe de 2,4 millions de dollars annoncée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) le 4 août dernier couvre notamment les villages de Rivière-Saint-Jean et de Rivière-au-Tonnerre, ainsi que « certaines parties de la route 138 », où ont eu lieu deux graves collisions en moins de six mois (voir onglet précédent).

Toutefois, « selon nos informations, il nous reste encore une bonne partie qui ne serait pas couverte jusqu’à Sept-Îles », dit M. Noël.

Les détails « seront confirmés au courant des prochains mois », a répondu une porte-parole de Telus, Jacinthe Beaulieu, par courriel.

La situation de la MRC de Bonaventure devrait aussi s’améliorer un peu avec un autre octroi de 3,9 millions du CRTC visant notamment à desservir « certaines parties » de la route 299. Le projet devrait « probablement régler le problème de Cascapédia–Saint-Jules parce que la 299 passe là », mais pas celui de villages comme Saint-Alphonse et Saint-Elzéar, note le préfet, Éric Dubé.

On est tous conscientsque Telus ne le fera pas pour nos beaux yeux, c’est une entreprise cotée en Bourse. S’ils desservent mieux Saint-Elzéar demain matin,ça ne leur amènera pas beaucoup de nouveaux clients, parce que les gens ont déjà des cellulaires.

Éric Dubé, préfet de Bonaventure

Déployer des réseaux « nécessite des efforts et investissements conjoints et nous saluons tout programme qui permettrait de bonifier [l’accès] », nous a indiqué Telus.

La Coalition avenir Québec a promis, le 5 septembre dernier, de créer un fonds pour « compléter le réseau cellulaire d’ici 2026 »

« Ces temps-ci, en campagne électorale, tous les partis promettent qu’ils vont le faire », témoigne le préfet de Bonaventure.

Son homologue de Minganie veut que les travaux se fassent en même temps que la portion déjà financée par le CRTC. « Ils prolongent le contrat de Telus, posent une ou deux tours de plus, et l’affaire est ketchup », fait valoir M. Noël.

Le premier ministre François Legault s’était déjà engagé en mai à « compléter le réseau cellulaire dans toutes les régions lors du prochain mandat ».

Le mois dernier, le ministère du Conseil exécutif a publié un appel d’intérêt visant à dresser un inventaire de la couverture disponible, et à fournir des scénarios pour la compléter « aux endroits où il y a présence d’activité humaine ».

« La date de début du contrat serait prévue pour le début 2023 et ledit contrat serait d’une durée d’au moins un an », mentionne le document.

En savoir plus
  • 3 milliards de dollars
    Fonds promis par la CAQ pour compléter le réseau cellulaire québécois d’ici 2026. Des investissements privés de 4,8 milliards pourraient s’ajouter « en raison de l’effet de levier », espère le parti.
    Source : annonce de la Coalition avenir Québec le 5 septembre 2022