L’accident spectaculaire d’une jeune femme en Minganie, sur la Côte-Nord, relance le débat sur la nécessité de connecter les régions éloignées au réseau cellulaire

« La première chose à laquelle j’ai pensé quand ma voiture a arrêté de bouger, c’est : est-ce que j’ai une barre de réseau ? »

Valéry Bélisle se souviendra longtemps du 3 mai 2022. Partie à 5 h 30 de Rivière-Saint-Jean, en Minganie, la jeune femme met le cap sur Sept-Îles, qui se trouve à 150 km à l’ouest de là, sur la route 138, dans le but d’arriver à l’heure pour le début d’un stage d’une semaine.

Mais à mi-chemin du trajet, le pire se produit. A-t-elle eu un malaise ? S’est-elle assoupie une seconde ? Valéry Bélisle ne peut le dire. Au moment de reprendre connaissance, elle se retrouve dans la voie en sens inverse, en direction du fossé en pierre qui surplombe une plage de sable, de celles qui font la renommée de cette région.

PHOTO FOURNIE PAR VALÉRY BÉLISLE

Valéry Bélisle a eu un accident le 3 mai 2022 non loin de la rivière au Bouleau, en Minganie.

« D'instinct, j’ai donné un coup de volant et je me suis retrouvée à faire des tonneaux dans les roches. Je me souviens de tout, des coups, du métal qui craque, jusqu’à tant que le char arrive en bas », raconte-t-elle, en entrevue avec La Presse.

Sans réseau

Encore sous le choc, alors que la musique de son cellulaire sonne dans les haut-parleurs de sa voiture, une Mazda 3 maintenant éventrée, son premier réflexe est de se demander si elle peut capter le réseau cellulaire.

PHOTO FOURNIE PAR VALÉRY BÉLISLE

La Mazda 3 de Valéry Bélisle, éventrée

La réponse à sa question vient toutefois rapidement : elle n’en a pas. C’est qu’en Minganie, comme dans d'autres régions de la province, l’accès au réseau cellulaire est très limité. À l’exception de quelques villages où il est possible de s’y connecter difficilement, les quelque 420 km qui relient Sept-Îles à Kegaska en sont presque totalement privés.

De la façon dont ma voiture était tombée, personne ne pouvait me voir de la route.

Valéry Bélisle

« J’ai rapidement évalué mes options. Mon dos commençait à me faire mal. J’ai tenté d’ouvrir ma porte, mais elle était bloquée. J’ai finalement réussi en donnant des coups de pied dedans. En sortant de là, j’ai monté les roches, pour aller sur le bord du chemin », explique Valéry Bélisle.

Après une trentaine de minutes à espérer qu’une voiture passe pour lui porter secours, elle obtient l’aide de deux hommes qui la conduisent à l’hôpital de Sept-Îles. Diagnostic : une vertèbre cassée, quelques bleus et des éraflures.

« Inacceptable en 2022 »

Partie chercher les effets personnels de sa fille, Josée Brunet raconte avoir eu beaucoup de difficulté à repérer le lieu de l’accident. Elle est catégorique : « Si elle ne s’en sortait pas par elle-même, personne ne venait la chercher. »

Celle qui en est à son troisième mandat comme mairesse de Rivière-Saint-Jean y voit un exemple de plus de l’urgence de doter la région d’une connexion au réseau cellulaire adéquate. Au moment où de plus en plus de touristes se rendent sur la Côte-Nord, « c’est inacceptable qu’en 2022, on soit laissés comme ça », dit-elle.

Qui plus est, l’entreprise Telus a déposé au printemps 2020 des soumissions pour deux projets différents sur le territoire de la MRC de Minganie afin de le connecter au réseau cellulaire dans le cadre du lancement du Fonds pour la large bande, pour combler le fossé numérique au Canada, souligne Josée Brunet.

Mais après avoir été repoussée de l’automne 2020 à 2021, la réponse du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) à cette demande de financement tarde toujours.

Une question de sécurité

Au point que la députée fédérale de la région, la bloquiste Marilène Gill, a écrit une lettre à l’organisme réglementaire le 28 avril dernier pour le presser de rendre une décision.

Ironie du sort, elle y mentionne le risque que représente l’absence de réseau cellulaire pour les Minganois. « Privés de réseau cellulaire sur de grands tronçons de la route 138 qui relie les différentes municipalités, vous me permettrez d’être inquiète pour les usagers qui fréquentent cette route. Je n’ose pas imaginer le pire : qu’un citoyen soit incapable de contacter les secours pour lui venir en aide », y écrit-elle de façon quasi prémonitoire.

En entrevue avec La Presse, l’élue confirme être toujours en attente d’une réponse du CRTC. Elle-même victime de l’absence de réseau cellulaire en Minganie lorsqu’elle est tombée en panne à 17 km du village de Rivière-au-Tonnerre pendant la campagne électorale de l’automne dernier, elle connaît bien la question.

« C’est une question de sécurité. Aujourd'hui, si les policiers, pompiers, ambulanciers, partent sur la route et reçoivent un appel, ils n’ont plus de lien avec personne », explique-t-elle en rappelant que le service de téléavertisseur (pagette) fourni par Bell jusqu’en 2019 permettait de pallier ce problème.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Marilène Gill, députée bloquiste de Manicouagan

Les municipalités essaient elles-mêmes de fournir des espaces où il y a du réseau, mais c’est la responsabilité du gouvernement fédéral. Tout est prêt à être déployé, il ne manque que l’autorisation du CRTC.

Marilène Gill, députée bloquiste de Manicouagan

Le CRTC n’a pas répondu à un courriel envoyé en fin d’après-midi jeudi.

Une priorité pour les régions

Loin d’être limitée à la seule région de la Minganie, l’absence de couverture cellulaire se fait sentir aux quatre coins de la province, au point que la Fédération québécoise des municipalités en a fait un enjeu prioritaire.

L’Association qui regroupe 1000 municipalités demande au gouvernement Legault de prendre le leadership dans le dossier en établissant une carte pour identifier les zones qui demeurent à couvrir.

« Cela dans un souci d’assurer la sécurité des citoyens sur l’ensemble du territoire, surtout depuis la fin du téléavertisseur », précise le président de la FQM, Jacques Demers.

Une telle carte aurait permis de connecter rapidement tous les foyers de la province à l’internet haute vitesse, selon la FQM.

Dans son dernier budget, le ministre des Finances, Eric Girard, a réservé une somme de 50 millions pour la question de la couverture cellulaire, mais Québec n’a pas encore précisé à quoi exactement servira cette somme.