Une poignée de bars au Québec prennent davantage de mesures pour protéger la clientèle contre les drogues du viol et les violences à caractère sexuel. Des acteurs de l’industrie soumettront d’ailleurs un projet de formation obligatoire pour les serveurs et serveuses dès l’automne.

« Je ne sens pas que l’industrie a évolué tant que ça. Si j’avais 20 ans aujourd’hui, je ne pense pas que je serais à l’aise de sortir dans les bars », estime Roxane Brossoit, gérante du pub Le Saint-Houblon, dans la Petite Italie.

La Presse a rencontré Mme Brossoit après avoir appris que deux femmes avaient été droguées à leur insu dans un autre bar de la métropole, à deux semaines d’intervalles, vers la fin du mois de mai.

Celle qui a 25 ans d’expérience dans l’industrie des bars fait le pont entre le Collectif social, instigateur de la formation « Commande un Angelot », et les employés du Saint-Houblon. Une personne craignant pour sa sécurité ou celle de quelqu’un d’autre peut se rendre au comptoir du bar et commander un Angelot. Cette boisson fictive sert de signal au personnel pour que celui-ci intervienne.

« C’est quand une femme, ou un homme, ne se sent pas bien par rapport à une situation à caractère sexuel. La personne va aller voir quelqu’un du personnel, qui va être capable d’aller l’isoler, par exemple dans la salle des employés », explique-t-elle. L’employé offre ensuite à la personne en détresse de l’aider à quitter l’établissement, à appeler la police ou à être escortée dans une autre section du bar.

À l’heure actuelle, seuls 40 établissements servant de l’alcool au Québec participent à cette initiative lancée en 2017, dont 27 dans l’île de Montréal.

Photo Alain Roberge, LA PRESSE

Le Saint-Houblon est l’un des rares établissements au Québec à avoir instauré un protocole contre les violences sexuelles.

Les bars accrédités affichent un panneau d’information dans les toilettes ainsi qu’un autocollant sur leur porte. Les serveurs doivent suivre une formation obligatoire en ligne, où l’on présente notamment des mises en situation de violences à caractère sexuel ainsi que le protocole à suivre pour assurer la sécurité de la clientèle.

Roxane Brossoit croit fermement qu’un protocole semblable à celui du Saint-Houblon devrait être obligatoire pour tous les bars et les boîtes de nuit de la province.

Pour une formation obligatoire

« C’est sûr que c’est un problème, c’est un fléau », admet Peter Sergakis, président de l’Union des tenanciers de bars du Québec (UTBQ), au sujet des intoxications à la drogue du viol dans les bars.

En entrevue téléphonique avec La Presse, il affirme que les bars faisant partie de l’UTBQ mettent en branle des mesures de sécurité de base. « On avise la clientèle de ne pas laisser ses verres seuls. Parfois, les barmans prennent les verres des filles qui vont aux toilettes ou sur la piste de danse, énonce-t-il. Il n’y a pas 1000 façons de protéger son verre. »

La décision de sensibiliser le personnel de bar aux violences sexuelles et aux drogues du viol revient au propriétaire. « Il n’y a pas de normes précises [en matière de prévention des intoxications à la drogue du viol], c’est à la discrétion de chacun des établissements », affirme Renaud Poulin, président de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec (CPBBTQ), au bout du fil avec La Presse.

Il ajoute que dans les années passées, plusieurs campagnes de sensibilisation ont été mises en place chez les 1100 membres du CPBBTQ, par exemple, en affichage sur des sous-verre et des panneaux, directement auprès de la clientèle ou lors de réunions entre policiers et propriétaires.

Le président de la CPBBTQ souligne que le roulement important de personnel engendré par la pénurie de main-d’œuvre rend la sensibilisation difficile auprès des employés.

Il peine à comprendre pourquoi le Québec n’est pas doté d’une formation obligatoire pour tous les travailleurs des bars et des établissements de la vie nocturne. « On va en faire la proposition au gouvernement à l’automne, annonce-t-il. On va revenir à la charge parce que ce serait important que les employés aient une certaine formation. »

L’exemple de l’Ontario

Depuis 2022, l’Ontario impose un module de sensibilisation sur les violences à caractère sexuel ainsi qu’aux drogues du viol, dans le cadre de sa formation obligatoire pour les établissements qui servent de l’alcool, qui existe depuis 25 ans.

« Il s’agit d’une vue d’ensemble de haut niveau des situations potentielles de violence sexuelle, ce qu’il faut repérer et comment intervenir. La formation comprend quelques scénarios. Nous discutons des drogues du viol et des signes et symptômes chez une personne intoxiquée », résume par courriel l’organisme Smart Serve Ontario, instigateur et responsable de la formation obligatoire pour les serveurs.

Consultez le site de Smart Serve Ontario