Télétravail et visioconférence par-ci, flexibilité et mode hybride par-là.

À en croire le discours dominant, il n’y en aurait que pour les vertus du travail à distance depuis la fin du confinement.

Mais peut-on aussi rappeler les mérites du travail au bureau ? Vous savez, cet endroit où l’on était heureux de se rendre avant la pandémie... Tous les jours !

Je comprends que la pandémie a complètement bouleversé notre rapport au travail. Je comprends qu’il est agréable de travailler de chez soi, de profiter d’une plus grande flexibilité et de jouir d’une meilleure conciliation travail-vie personnelle.

Le journaliste Fareed Zakaria fait d’ailleurs remarquer dans ses Dix leçons pour un monde post-pandémique1 qu’il y a là un retour à la vie d’antan, quand le travail (à la ferme) et la vie personnelle (en famille) s’entrecoupaient gaiement sous un même toit.

Alors que se rendre au bureau, c’est « rugueux » : préparation matinale, vêtements, transport, imprévus, café, dépenses (ouch !), discussions non sollicitées, etc.

Mais on oublie que les gains du présentiel sont bien plus grands que ses tracas. Car à l’origine, l’entreprise n’est pas que l’addition de ses employés épars, c’est une équipe, un collectif, un tout.

Le bureau virtuel, bref, n’est pas le bureau réel.

À La Presse, on a fait la preuve qu’on pouvait publier ce qu’on appelle « le miracle quotidien » en étant chacun chez soi.

Comme lecteurs, je suis persuadé que vous n’avez vu aucune différence entre les numéros d’avant et d’après le 13 mars 2020.

Mais dans les coulisses, au moment où on retourne graduellement au bureau dans le Vieux-Montréal, on réalise que le travail en équipe tire le travail de tous vers le haut au moment où on retrouve « le murmure collectif et le cliquetis des claviers », comme écrivait Chantal Guy le week-end dernier.

Repensez aux films Spotlight et All the President’s Men, ou encore à la série Scoop, avec tous ces reporters qui vont et viennent dans une salle de rédaction, qui parlent au téléphone, qui discutent entre eux d’un sujet ou d’un autre, ce qui fait naître une féconde émulation.

On réalise d’ailleurs en fréquentant une salle de rédaction que la meilleure amie du journaliste qui fouille et réfléchit est souvent la sérendipité, cette découverte inattendue d’une information utile au détour d’une simple conversation.

Je vous parle de La Presse, mais je pourrais vous parler de bien d’autres entreprises. Car les problèmes liés au « tout-à-distance » sont similaires dans divers domaines.

Les entreprises technos peuvent être plus agiles et attrayantes en offrant la flexibilité totale, mais dans de nombreuses autres organisations, les employés isolés peuvent finir par perdre la raison d’être de leur labeur.

Ils peuvent se demander à quoi rime ce travail qu’ils font de la maison, et qui s’ajoute dans un nuage au travail d’autres personnes qu’ils ne croisent jamais, dont ils ne connaissent peut-être même pas le nom.

Les nouveaux employés peuvent avoir plus de difficulté à s’intégrer, à développer un sentiment d’appartenance à l’entreprise. Ils profitent moins du transfert de connaissances que permet le bureau.

Il y a aussi le travail d’équipe, l’esprit de corps, la cohésion des échanges, la créativité, l’idéation facilitée, la disponibilité à de nouveaux apprentissages.

Et il y a la socialisation. Pas juste celle qui nous permet de créer des liens avec les autres, celle qui nous permet d’être confronté à l’autre.

J’avoue que celle-ci me fait réfléchir depuis des mois : au moment où l’individualisation est croissante et que les réseaux sociaux nous enferment dans des bulles de filtres, n’y a-t-il pas un danger d’accélérer ces deux processus avec le télétravail généralisé ?

Car au bureau, on n’a souvent pas le choix de sortir de sa zone de confort, alors que la maison est un espace sûr, ou safe space, pour utiliser une expression à la mode. On n’est pas souvent ébranlé seul en pantoufles dans son sous-sol.

Or, la vie nécessite qu’on le soit de temps en temps. Elle requiert qu’on rencontre des idées et remarques qui nous choquent, nous secouent, nous font réfléchir.

Ce à quoi sert aussi le bureau.

Oui, c’est vrai que bien des employés aujourd’hui sont capables de faire une bonne partie de leur travail à distance, grâce aux courriels, à Slack, à Teams, etc.

Mais je fais remarquer une chose : pendant les deux dernières années, on s’est graduellement habitués à travailler chacun chez soi… sans toujours réaliser ce qu’on perdait loin du bureau. Un peu comme la grenouille plongée dans une eau qui se réchauffe tranquillement, qui s’habitue à la température et finit ébouillantée.

On s’est ainsi rendu compte qu’on était super bons en télétravail pour nombre d’entre nous. Mais on a peut-être perdu de vue qu’on est tout de même meilleurs quand on travaille ensemble au bureau.

1. Ten Lessons for a Post-Pandemic World, de Fareed Zakaria

Écrivez à François Cardinal