Un criminel endurci, que la police associe au crime organisé traditionnel irlandais et qui était accusé d’avoir dirigé des activités de trafic de drogue à partir du pénitencier, vient d’être acquitté par la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, qui a statué qu’il a été écouté illégalement par les services correctionnels.

Jeffrey Colegrove, 56 ans, avait été arrêté par les enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en 2018 alors qu’il purgeait à Donnacona une peine de 12 ans pour possession de cocaïne dans un but de trafic dans une autre affaire.

Selon les prétentions de la poursuite, il aurait utilisé les téléphones de l’établissement pour trafiquer des stupéfiants avec des complices au Québec et en Nouvelle-Écosse, et a été accusé à Halifax de deux chefs de complot pour trafic de cocaïne et de méthamphétamine.

À partir de mars 2018, les autorités carcérales ont écouté les conversations de Colegrove durant 30 jours avant que le sous-directeur de l’établissement autorise ensuite deux autres prolongations de 15 jours chacune.

En 60 jours, les responsables du pénitencier ont intercepté 312 appels téléphoniques personnels entre M. Colegrove et d’autres personnes, dont une dizaine avec ses avocats.

Les appels ont été écoutés par des agents de renseignements des services correctionnels puis remis à la GRC, qui a appréhendé Colegrove et ses complices en novembre suivant.

Interception des communications

Les avocats de la défense, MLucie Joncas et MJacques Normandeau, ont présenté en mai 2021 une requête demandant à un juge de déclarer ces interceptions illégales.

« Le bris le plus sérieux, c’est que les agents correctionnels étaient parfaitement outillés à l’époque pour supprimer les numéros de téléphone des avocats et des procureurs des conversations interceptées et ils ne l’ont pas fait, car ils ne savaient pas comment le faire et ils apprenaient sur le tas », explique MJoncas.

En même temps que les avocats préparaient leur requête, le gouvernement a examiné les façons de faire dans l’interception des communications des détenus fédéraux et pondu un rapport contenant plusieurs recommandations, notamment que la définition d’une interception légale soit bien expliquée au personnel et que des communications puissent seulement être interceptées sans mandat si les autorités ont « des motifs raisonnables de croire » que la sécurité de l’établissement est en danger.

Depuis l’an dernier, seul le directeur d’un pénitencier peut autoriser l’écoute d’un détenu. Une centrale pour traiter toutes les demandes de ce type a été créée à Ottawa.

À l’encontre de la Charte

Après avoir entendu les témoignages des agents correctionnels impliqués dans les interceptions des conversations de Colegrove et analysé les façons de faire anciennes et actuelles du Service correctionnel du Canada (SCC), la juge Christa M. Brothers, de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, a conclu que les droits constitutionnels de l’accusé ont été violés.

« La conduite de l’État qui a entraîné les violations de la Charte en l’espèce se situe à l’extrémité la plus grave du spectre. Il ne s’agissait pas de violations involontaires ou mineures. Bien que ni le SCC ni la police n’aient délibérément violé les droits garantis à M. Colegrove par la Charte, leur négligence ou leur aveuglement volontaire quant à savoir si de telles violations ont eu lieu ne peuvent être assimilés à de la bonne foi », écrit la juge Brothers, qui souligne même un « problème systémique » au SCC.

« Les accusations portées contre M. Colegrove sont graves. Cependant, la Cour ne peut tolérer les violations répétées de ses droits garantis par la Charte par l’État. Ces violations faisaient partie d’un ensemble beaucoup plus large d’abus de la Charte au sein du SCC, et le tribunal doit se dissocier de ce genre de conduite. La fin ne justifie pas les moyens dans ce cas », ajoute la magistrate du plus haut tribunal de la Nouvelle-Écosse, qui a donc exclu de la preuve toute l’écoute captée à Donnacona.

Après ce jugement, la poursuite a annoncé qu’elle n’avait plus de preuve à offrir et Colegrove a été acquitté.

« Ça remet les pendules à l’heure sur le fait que les détenus fédéraux, bien qu’ils aient une expectative réduite de la vie privée, elle existe tout de même, et ça prend des motifs raisonnables de croire que la sécurité interne de l’institution est en danger », a réagi MJoncas.

Colegrove continue toutefois de purger sa peine de 12 ans prononcée en janvier 2017 après que des enquêteurs des stupéfiants de la région ouest du Service de police de la Ville de Montréal eurent découvert de la drogue, des armes, des lunettes tactiques, des viseurs laser et des vestes pare-balles dans une résidence de Dollard-des-Ormeaux protégée par des caméras de surveillance où il se trouvait en 2015.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514-285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.