L’offre de rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk a ravivé le débat sur la liberté d’expression et la polarisation politique sur le réseau social. Pourtant, contrairement à l’idée souvent véhiculée, la majorité des Américains présents sur Twitter ne suivent pas la politique.

Pas politique

Les politiciens et les militants aiment utiliser Twitter pour s’informer, défendre leurs idées, discréditer leurs adversaires et généralement faire avancer leur cause. Toute cette activité parfois « virale » peut faire oublier une vérité : seule une minorité d’Américains présents sur Twitter s’intéresse à la politique. C’est l’une des conclusions étonnantes de The Political Landscape of the U.S. Twitterverse, une étude menée par des chercheurs de l’Université nationale de Singapour et de l’Université de la Pennsylvanie. « Les usagers du réseau social sont comme le public américain dans son ensemble : ils sont caractérisés par un faible niveau de connaissances politiques et un désintérêt pour les affaires politiques », écrivent les auteurs de l’étude, publiée en 2020 et mise à jour récemment.

Effet lampadaire

Subhayan Mukerjee, professeur adjoint au département des communications et des nouveaux médias de l’Université nationale de Singapour et coauteur de l’étude, note que les journalistes et autres commentateurs qui s’intéressent à Twitter sont victimes de « l’effet lampadaire », soit la parabole classique de l’ivrogne à qui vient l’idée de chercher ses clés perdues sous le lampadaire, tout simplement parce que c’est là que se trouve la lumière. « De la même manière, les journalistes qui écrivent sur Twitter ont tendance à utiliser ce qu’ils voient [leurs flux politiques et d’autres comme eux, qui tweetent sur la politique] pour étayer leurs opinions et tirer des conclusions souvent infondées sur la plateforme en général », explique M. Mukerjee en entrevue.

Divertissement avant tout

Dans son étude, M. Mukerjee montre que les usagers « ordinaires » américains médians de Twitter avaient 10 abonnements à des comptes liés au divertissement, un abonnement à une marque, un à la politique, un à une personnalité publique, zéro à des experts en politique, zéro à des sites de nouvelles. Bref, pour l’usager de Twitter américain moyen, le réseau social sert surtout à prendre des nouvelles du monde du divertissement (musique, Hollywood, etc.). Aussi, chez les personnes les plus en vue qui s’expriment sur Twitter, la majorité n’aborde pas les enjeux politiques, note l’étude. « Le grand nombre de leaders d’opinion non partisans qui s’expriment à voix haute sur Twitter étouffe les voix partisanes sur la plateforme », écrit M. Mukerjee.

Mauvais sondage d’opinion

Cette fausse perception sur la supposée soif du peuple pour la politique sur les réseaux sociaux n’est pas sans conséquences. Par exemple, les journalistes et les politiciens utilisent régulièrement les réseaux sociaux pour évaluer le sentiment du public. « Or, ce faisant, ils réagissent peut-être à une perception déformée de la réalité », puisque les usagers susceptibles d’interagir à ces occasions ne représentent pas l’opinion de l’usager moyen, dit M. Mukerjee. De plus, en citant les tweets de personnalités politiques, les journalistes leur donnent une visibilité qu’elles n’auraient sans doute pas obtenue de façon « organique », les usagers étant collectivement peu nombreux à suivre leurs comptes. « Il est peut-être impératif que la couverture médiatique des élites politiques se fonde davantage sur des questions potentiellement importantes qui touchent un plus grand nombre de personnes, telles que leurs positions sur des enjeux réels, plutôt que sur leur activité sur les réseaux sociaux », écrivent les chercheurs.

Désintérêt

L’une des conclusions de l’étude – le fait que les Américains suivent pour la plupart peu la politique – est rarement mise en lumière par les analystes, qu’il s’agisse de Twitter ou d’autre chose, alors que cette prémisse devrait plutôt dominer les conversations, note M. Mukerjee. « En fait, comme l’écrit la politologue Yanna Krupnikov, le véritable fossé aux États-Unis n’est pas entre la droite et la gauche, mais entre une minorité politiquement engagée et une majorité politiquement désintéressée, dit-il. Il en va de même pour Twitter. Le contenu et les tendances politiques sur Twitter ne sont pas la même chose que l’information que les gens voient au jour le jour dans leurs flux. Cela ne les rend pas faux, mais simplement non représentatifs. »

Consultez l’étude « The Political Landscape of the U.S. Twitterverse » (en anglais)