Il n’y a pas qu’au conseil d’administration du Canadien National (CN) que le français a été mis à mal. Sa nouvelle présidente-directrice générale, Tracy Robinson, a été prévenue au début du mois que des incidents linguistiques s’étaient produits sur le terrain à maintes reprises depuis environ deux ans dans l’est du pays.

Des conducteurs de locomotive, chefs de train et chefs de triage qui ne sont pas suffisamment « confortables » à travailler en anglais et qui subiraient de la « pression », « des menaces de mesures disciplinaires » et « un traitement qui pourrait parfois s’apparenter à des représailles »… Cela fait partie des doléances soulevées par la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada dans une lettre adressée à Mme Robinson datée du 5 avril dernier. La Presse a obtenu le document.

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Tracy Robinson, PDG du Canadien National

« Nous savons à quel point la diversité, l’équité et l’inclusion sont des valeurs primordiales pour le CN, il est donc difficile pour nous de comprendre pourquoi nous devons toujours en 2022 faire des revendications sur les droits des francophones », écrivent les chefs syndicaux Jean-Michel Hallé et Alain Gratien.

Consultez la lettre adressée à la PDG du CN

Ceux-ci s’inquiètent d’un déséquilibre linguistique au sein des activités de l’entreprise à Montréal, particulièrement à la gare de triage Taschereau, avec l’arrivée de « plusieurs employés unilingues anglophones pour combler une pénurie de personnel ».

La diffusion de cette lettre survient alors que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada – assujettie à la Loi sur les langues officielles – est vivement critiquée pour ne proposer aucun candidat francophone pour siéger à son conseil d’administration, qui compte 11 membres.

Lisez l’article « Les francophones écartés de la table du C.A. »

Interrogé à propos de la lettre du 5 avril dernier, le CN a répondu qu’il « respect[ait] la Loi sur les langues officielles » et s’est dit « fier » que ses employés et ses clients puissent « communiquer dans la langue officielle de leur choix ».

Employés pour traduire

Pas plus tard que le 20 février dernier, le plus grand chemin de fer au pays aurait exigé qu’un employé bilingue joue le rôle de traducteur dans une équipe afin de permettre à un train de réaliser certaines manœuvres, allègue la lettre que La Presse a obtenue. Le document de deux pages ne fournit pas plus de détails sur l’incident en question.

« Un autre employé qui a fait part de [sa difficulté] à travailler en anglais s’est fait ordonner de demeurer assis à la gare et d’appeler son superviseur [toutes les] deux heures », souligne-t-on.

De plus, depuis l’été 2021, il n’y a qu’un seul surintendant pour la région de l’est du Canada (Québec et les provinces atlantiques), affirment les Teamsters. Selon le syndicat, ce surintendant ne maîtrise pas le français.

« Bien qu’il s’agisse à nos yeux d’un profond manque de respect envers les employés francophones et la législation en vigueur, il s’agit avant tout d’un enjeu de sécurité majeur », écrivent MM. Hallé et Gratien.

Comment peut-on penser effectuer des opérations ferroviaires sécuritaires lorsque les intervenants impliqués ne peuvent communiquer adéquatement dans la même langue ?

Extrait de la lettre adressée à la PDG du CN

Des cheminots ont également écrit à La Presse pour relater des incidents du genre.

« Récemment, un employé s’est fait menacer de sanctions disciplinaires s’il refusait de travailler en anglais, raconte un travailleur, qui a demandé l’anonymat par peur de représailles de son employeur. Dans un autre cas, la compagnie a demandé à un stagiaire de s’asseoir dans la locomotive et de traduire les communications radio. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Wagons du CN en attente à Richmond

En 2020, les Teamsters avaient interpellé le président-directeur général de l’époque, Jean-Jacques Ruest, pour exprimer leurs inquiétudes ainsi que leur mécontentement. Le syndicat se plaignait notamment d’une détérioration des services en français à la suite du déménagement d’un bureau de gestion des effectifs à Edmonton, en Alberta.

« Depuis cet évènement, on a vu les incidents se multiplier à la vitesse grand V », affirme le directeur des communications des Teamsters au Québec, Stéphane Lacroix.

À la suite du changement aux commandes du CN, le syndicat a senti le besoin de revenir à la charge auprès de Mme Robinson. Une rencontre sur le sujet est prévue la semaine prochaine entre l’employeur et le syndicat. M. Lacroix espère que la nouvelle direction de l’entreprise ne « fera pas juste transmettre des vœux pieux ».

D’après le CN, la situation à la gare de triage Taschereau est attribuable à une « pénurie de main-d’œuvre temporaire ».

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    Au cours des dernières années, il y avait au moins deux administrateurs francophones au C.A. du CN.
    Source : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada