Un critique du Kremlin qui a trouvé refuge à Montréal met en garde contre la censure sur les campus de Russie

Son université était réputée la plus libérale de Moscou. Puis, en août 2020, le professeur Andrey Shcherbovich, critique de longue date du régime de Vladimir Poutine, a été limogé.

« La situation en Russie est absolument terrible. Je suis très reconnaissant d’être ici et non là-bas maintenant », souffle Andrey Shcherbovich.

Il nous reçoit, vêtu d’un chic veston, dans un petit local de l’Université McGill, qui l’accueille à titre de chercheur associé depuis qu’il a fui la Russie, en août dernier.

Il veut raconter son histoire, qui est aussi celle de nombreux autres universitaires russes. Et dénoncer la censure sur les campus de Russie, qui a débuté bien avant la guerre en Ukraine.

Sans liberté universitaire, nous ferons face à des problèmes de plus en plus grands en Russie. La population ne recevra plus une éducation, mais de la propagande.

Andrey Shcherbovich

L’histoire de M. Shcherbovich, donc, remonte à 2020.

Il était alors professeur associé au département de droit constitutionnel de l’École des hautes études en sciences économiques de Moscou. L’université la plus « occidentale » de Russie, souligne-t-il.

Comme tout bon juriste constitutionnel russe, blague-t-il, il critiquait ouvertement le Kremlin, qu’il a accusé à plusieurs reprises de bafouer les droits et libertés de ses concitoyens. « Mais je n’avais jamais été confronté à aucune sorte de restriction personnelle. »

Jusqu’à ce qu’il soit limogé, cet été-là.

Une constitution « complètement illégitime »

Quelques mois plus tôt, le président Vladimir Poutine avait proposé un ensemble d’amendements populistes et conservateurs à la Constitution. Adoptés, sans grande surprise, par le peuple russe à l’issue d’un référendum.

L’amendement le plus controversé, ajouté à la dernière minute, permettait à Vladimir Poutine de rester au pouvoir jusqu’en 2036.

Pour Andrey Shcherbovich, la Constitution révisée était « complètement illégitime ». C’est ce qu’il a déclaré en classe, devant ses étudiants, et à des journalistes.

Comme il l’avait souvent fait.

Mais cette fois, l’université l’a mis à la porte. Comme quatre de ses collègues. En fait, leur département au complet a été torpillé.

J’étais sous le choc. J’avais passé 17 ans de ma vie dans cette université.

Andrey Shcherbovich

Pendant un an, il a cherché un emploi à Moscou, sans succès. Aucune université ne voulait de lui. Sa réputation le précédait.

À bout de ressources, il a postulé au Scholar Rescue Fund, qui vise à protéger les universitaires menacés à travers le monde, et qui l’a mis en contact avec l’Université McGill.

L’université libre

L’histoire d’Andrey Shcherbovich n’est qu’un exemple parmi une série de licenciements similaires survenus dans les universités russes en 2020.

Cette année-là, un groupe de professeurs, la plupart congédiés pour des raisons politiques, a fondé la Free University. Ils offrent des cours en ligne de philosophie, de littérature ou encore d’histoire de l’art, avec la promesse d’une liberté d’enseignement absolue.

Ça a bien fonctionné. Puis le Kremlin a lancé son invasion de l’Ukraine. Pour Natacha, professeure à l’École des hautes études en sciences économiques de Moscou dont nous taisons l’identité pour ne pas compromettre sa sécurité, tout a cliqué.

« Notre université était un endroit spécial, la liberté de l’enseignement y était importante. On ne comprenait pas pourquoi, ces deux dernières années, on ressentait plus de pression. Maintenant on sait que c’est parce que la guerre arrivait », raconte-t-elle de Moscou.

Pendant six mois, Natacha a donné des cours à la Free University. Mais elle n’est plus certaine de vouloir continuer. L’étau se resserre sur les campus russes.

En février dernier, 260 recteurs d’universités russes, dont le président de l’Union russe des recteurs, ont signé une lettre en soutien à l’invasion de l’Ukraine. En Russie, toute personne qui diffuse des « informations mensongères » sur la guerre risque aussi jusqu’à 15 ans de prison.

Sous la pression, la moitié des collègues de Natacha ont fui le pays. Ceux qui restent, comme elle, y songent.

« Tout le monde sait que personne ici ne soutient le gouvernement, mais tout le monde fait comme si c’était le cas », pour se protéger, rapporte-t-elle.

Rester ou rentrer ?

Andrey Shcherbovich est le premier professeur russe qu’accueille McGill avec le Scholar Rescue Fund.

Nandini Ramanujam, la responsable de l’université auprès de Scholars at Risk, organisme partenaire du Scholar Rescue Fund, s’attend à une hausse des candidatures provenant de la Russie dans les prochains mois.

L’entente entre l’Université McGill et M. Shcherbovich doit prendre fin en 2023. Mais le professeur n’a aucune envie de retourner en Russie. Il aime sa nouvelle vie ici. Et il peut se faire oublier.

« Les évènements de ces dernières semaines ont confirmé ma décision de rester ici. Je suis contre cette guerre. Ici, je suis complètement libre. »