Les nouvelles révélations sur l’Agence spatiale canadienne, qui a gardé en poste pendant des années un employé soupçonné d’être une taupe à la solde de la Chine, montrent que le programme spatial canadien intéresse les puissances étrangères et que les secrets technologiques du Canada doivent être mieux protégés qu’autrefois, estiment des experts.

« Il y a eu du laxisme par le passé, on ne pensait pas que c’était une opération si importante », affirme Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada en Chine, au sujet de l’espionnage industriel chinois sur le sol canadien, dans tous les secteurs technologiques de pointe.

Sur la base de documents judiciaires déposés en cour, La Presse rapportait lundi les dessous d’une enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur Wanping Zheng, ancien scientifique de l’Agence spatiale arrêté en décembre dernier pour abus de confiance.

M. Zheng est en attente de son procès, et les allégations de la police n’ont pas été testées devant les tribunaux. Mais la théorie des autorités est que le fonctionnaire utilisait sa position stratégique pour aider une entreprise chinoise d’exploration spatiale qui projette de créer bientôt une « constellation » d’une centaine de satellites d’observation hyper perfectionnés en partenariat avec une société d’État du gouvernement chinois. Un cas « d’ingérence étrangère » dans l’appareil fédéral canadien, selon la GRC.

Les documents obtenus par La Presse montrent que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a eu le temps d’avertir quatre fois l’Agence de ses « inquiétudes » au sujet de M. Zheng avant que l’employeur finisse par déclencher une enquête interne, trois ans après l’avertissement initial.

Intrusions et vols

Le dossier rappelle des souvenirs à Guy Saint-Jacques, qui a souvent tenté de convaincre des chercheurs canadiens de mieux protéger leurs secrets face aux tentatives de vol ou d’ingérence des agents du gouvernement chinois, lorsqu’il était en poste à Pékin.

PHOTO TIRÉE D’UNE VIDÉO YOUTUBE

Wanping Zheng lors d’une conférence à titre de dirigeant de la firme chinoise Spacety

« Nos services de renseignement le savent. On avait toutes sortes d’exemples d’intrusions et de vols de technologies. Quand j’étais ambassadeur, je demandais aux chercheurs comment ils protégeaient leur propriété intellectuelle. Certains m’envoyaient promener ! Ils disaient : on partage le savoir. D’accord… mais dans certains cas, il y a des applications militaires, et des lumières rouges devraient s’allumer », explique l’ancien diplomate.

Le domaine de l’exploration spatiale n’échappe pas à ce phénomène, dit-il.

« Il y a toujours eu des technologies spatiales qui étaient secrètes, comme le bras canadien, car il y a une valeur commerciale reliée à ça. Il y a eu une sensibilisation au cours des dernières années, car on s’est aperçu que la Chine utilise tous les moyens pour acquérir certaines technologies », affirme M. Saint-Jacques.

Implications militaires

« C’est très bien pour le Canada d’être ouvert sur sa recherche et de partager avec les scientifiques de partout dans le monde, pour le bien de l’humanité. Mais parfois, il y a des implications militaires. Des stations-relais de communications satellites, par exemple, ont des implications militaires directes. Elles peuvent être utilisées pour l’espionnage ou les applications militaires », renchérit Charles Burton, ancien employé de l’ambassade du Canada en Chine et du Centre de la sécurité des télécommunications du Canada, qui travaille maintenant comme agrégé supérieur de recherche à l’Institut Macdonald-Laurier.

M. Burton croit que bien souvent, les partenariats de partage en recherche avec des institutions liées à l’État chinois se révéleront « à sens unique ».

« Le régime chinois n’appliquera pas de réciprocité. Ils ne vont pas partager leur travail, et nous n’allons pas en bénéficier. Ce sera un transfert à sens unique », dit-il.

Des précédents

Le dossier de Wanping Zheng n’est pas le premier dans lequel l’Agence spatiale canadienne s’est retrouvée mêlée à des enquêtes sur les agissements de la Chine et les menaces à la sécurité nationale du Canada et de ses partenaires.

En 2015, l’entreprise chinoise Maple Armor, fabricant de systèmes d’alarme d’incendie, avait acheté un terrain à Saint-Bruno-de-Montarville pour y bâtir une nouvelle usine. Mais Le Journal de Montréal avait révélé que le bureau du premier ministre Stephen Harper était intervenu pour lui interdire de s’y installer, en raison de la trop grande proximité de l’Agence spatiale canadienne.

En 2020, La Presse a aussi révélé qu’un professeur de l’Université McGill choisi pour développer en sous-traitance des systèmes de l’Agence spatiale entre 1998 et 2004, notamment une antenne de télécommunications, avait par la suite été identifié par le FBI comme le coordonnateur d’un réseau d’espionnage qui volait des secrets industriels afin d’alimenter le développement de missiles en Chine.