On ne sait pas encore combien d’Ukrainiens trouveront refuge au Québec, mais la province se dit prête à les accueillir. Plusieurs écoles québécoises ont une longue expérience avec les enfants qui ont vécu dans des zones de guerre. Avant toute chose, ils doivent les aider à retrouver le calme.

On dit d’eux que ce sont des enfants qui ont « fait la route ». Au centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSSPI), dans l’est de Montréal, on a vu beaucoup de jeunes arriver d’Angola ou du Congo au cours des dernières années. Après avoir parcouru pendant des mois « le grand chemin par le Brésil ou le Chili » avec leur famille, ils s’installent au Québec.

« On a des classes entières d’enfants qui ont fait la route », dit Maria-Cristina Gonzalez, psychologue au CSSPI.

Spécialiste des enfants immigrants et réfugiés et professeure de psychiatrie sociale et culturelle à l’Université McGill, la Dre Cécile Rousseau explique que la détresse que présentent les jeunes qui viennent de pays en guerre dépend de plusieurs facteurs. Ce sera aussi le cas pour les enfants qui auront quitté l’Ukraine et qui pourraient arriver dans les écoles québécoises.

Quel degré d’exposition à la guerre ont-ils connu ? Sont-ils partis dès le début du conflit ou ont-ils été au cœur des bombardements, vu des horreurs ? Est-ce que toute la famille est partie ensemble ? Reste-t-il de leurs proches en danger de mort ? Ont-ils manqué de nourriture ?

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La Dre Cécile Rousseau, spécialiste des enfants immigrants et réfugiés et professeure de psychiatrie sociale et culturelle à l’Université McGill

Si vous êtes à Kyiv pendant plusieurs jours et que vous en sortez, il se peut que vous alliez très bien, mais il se peut aussi que vous fassiez des cauchemars, que vous ayez perdu l’appétit, que vous pleuriez tout le temps, que vous fassiez des colères… tout ça, c’est normal en réaction de stress aigu.

La Dre Cécile Rousseau

Dès le départ, le rôle de l’école québécoise est de « rassurer, accueillir, calmer » les enfants, explique-t-elle, ajoutant que l’environnement familial et social a un effet protecteur indéniable pour ces jeunes.

La grammaire et les mathématiques devront attendre quelques semaines.

L’essentielle routine

Pour des enfants qui ont vécu dans des milieux instables pendant des mois, arriver à l’école et « toujours dire bonjour en français, voir la même personne chaque jour, prendre la collation à 9 h 30 » devient essentiel, confirme Maria-Cristina Gonzalez, psychologue au CSSPI.

Le centre de services documente le parcours migratoire de ses nouveaux élèves pour mieux les comprendre, pour éviter que les enfants qui ont vécu des situations traumatisantes soient « parachutés » dans les écoles.

Certains élèves ont été agressés, sont allés en prison avec leurs parents, ont été séparés de leur famille ou ont été malades pendant leur trajet migratoire.

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Maria-Cristina Gonzalez, psychologue au centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île, dans l’est de Montréal

On est dans des traumas graves, complexes, avec énormément de facteurs de risque.

Maria-Cristina Gonzalez, psychologue au CSSPI

On accompagne ces enfants, mais on tente néanmoins de « protéger » les enseignants en ne détaillant pas tout ce que leurs élèves ont vécu.

« Parfois, les enfants vont se confier d’emblée à l’enseignant, mais il faut qu’on s’assure que l’enseignant joue bien son rôle, avec une distance saine », explique Anne-Marie Boudreault-Bouchard, également psychologue au CSSPI.

Elle cite l’exemple d’une enseignante qui était tellement touchée par la situation d’un enfant qu’elle craignait que lui imposer des règles le perturbe, alors que la recherche de la stabilité est omniprésente chez ces jeunes.

Mais, ajoute-t-elle, il faut aussi expliquer aux enseignants que, parfois, l’alarme d’un exercice d’évacuation, un bruit fort ou la simple cloche qui annonce la fin des classes peut suffire à un élève pour lui rappeler une situation traumatisante qu’il a vécue.

Forte de son expérience de plusieurs décennies auprès de ces enfants, la Dre Rousseau dit que « très souvent, avec le temps et un environnement soutenant et chaleureux, ça s’arrange ».

La plupart des enfants vont passer au travers.

La Dre Cécile Rousseau

Il y a plusieurs années, notamment lors de la vague de réfugiés syriens, la Dre Cécile Rousseau a mis sur pied des activités d’expression créatrice pour les enfants et les adolescents réfugiés. « Les petits arrivent, ils ont besoin de jouer, de dessiner, pour leur permettre de maîtriser le stress », explique-t-elle.

Une fois qu’ils se sentent bien, qu’ils recommencent à dormir, ils deviennent prêts à apprendre. Comme les autres élèves.

En savoir plus
  • 82 %
    Taux de diplomation et de qualification des élèves issus de l’immigration de première génération au CSSPI. Tous élèves confondus, ce taux est de 79 %.
    Source : CSSPI