Dans la foulée de l’attaque de London, qui a causé la mort de quatre musulmans en raison de leur foi dimanche, en Ontario, des organismes et des experts s’entendent sur le fait qu’il est aujourd’hui devenu « urgent d’agir » contre la multiplication des crimes haineux, particulièrement ceux qui ciblent la communauté musulmane.

« On est fiers d’être Québécois, d’être musulmans, d’être Canadiens. Mais parfois, on a peur de marcher dans la rue. Hier, je me suis personnellement demandé si c’était une bonne idée d’aller me promener avec ma mère et ma sœur, qui portent le voile », a lancé le directeur des affaires québécoises du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), Yusuf Faqiri, en entrevue avec La Presse.

Pour lui, le drame de London démontre qu’il reste encore « beaucoup de travail à faire » au Canada. « Ça nous fâche qu’il y ait encore beaucoup de gouvernements qui nient l’islamophobie, et que collectivement, on ne dispose toujours pas d’une stratégie contre le suprémacisme blanc, qui y est très lié », affirme M. Faqiri, en soulignant que les mots sont « essentiels » pour définir la solution.

M. Faqiri ne s’en cache pas : il y a une « banalisation » des crimes contre la communauté musulmane. « On peut prendre l’exemple du centre communautaire islamique visé dans l’est de Montréal, en avril, qui n’a pas été dénoncé avec beaucoup de force par certains », soutient-il, en référence à l’homme qui avait déchargé une arme à air comprimé sur la façade d’une mosquée de la rue Bélanger, dans le quartier Rosemont.

Il déplore aussi le peu de mesures concrètes depuis l’attentat à la Grande Mosquée de Québec, en 2017.

Pour régler un problème, il faut nommer les choses. Ça veut dire parler de terrorisme et d’islamophobie, à tous les paliers de gouvernement.

Yusuf Faqiri, directeur des affaires québécoises du Conseil national des musulmans canadiens

Interpréter la hausse

Les plus récentes données de Statistique Canada, datant de 2019, font état d’une augmentation de 9 % des crimes haineux visant la population musulmane par rapport à l’année précédente. Pendant cette même période, les corps de police canadiens ont observé un « recul du nombre de crimes haineux » ciblant la religion en général (-7 %), lit-on dans un rapport de l’agence fédérale paru en mars.

On y apprend aussi qu’entre 2010 et 2019, 42 % des crimes ciblant la population musulmane étaient « de nature violente », le plus souvent des menaces et des voies de fait, qui visent plus de femmes que d’hommes. Près de 60 % des crimes sont catégorisés comme étant « non violents », surtout des méfaits.

Directeur scientifique au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), Louis Audet-Gosselin constate aussi qu’une « forte proportion » des crimes haineux touchent la communauté musulmane. « L’enjeu, c’est que ce sont des crimes rapportés par la police comme étant haineux, or, on sait que la grande majorité des crimes haineux ne sont pas rapportés ni dénoncés. Le problème est donc beaucoup plus large », rappelle-t-il.

« Les crimes haineux sont régulièrement le reflet des débats sociaux. Et quand les débats sont très polarisés, il y a des individus qui les poussent plus loin, en nourrissant la haine », explique-t-il.

On ne sait pas encore pour London s’il y a un motif politique, mais chose certaine, la visibilité de l’extrême droite est plus grande depuis le milieu des années 2010. Ça joue dans la diffusion d’un certain discours haineux.

Louis Audet-Gosselin, directeur scientifique au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence

Ultimement, au Québec comme ailleurs, « l’islamophobie existe », ajoute l’expert. « Nommer ce problème, en parler à tous les niveaux, dans les institutions, les médias, c’est déjà une partie de la solution. Sinon, c’est de favoriser la nuance, d’apaiser les débats, et d’essayer de faire en sorte que tout le monde soit inclus. »

Martin Geoffroy, directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux (CEFIR) et professeur au cégep Édouard-Montpetit, seconde. « Il y a une normalisation de l’islamophobie, au sens où il y a encore beaucoup de gens au Québec et ailleurs qui nient son existence, alors que non seulement ça existe, mais surtout, on peut l’expliquer par des études et des recherches sérieuses », dit le chercheur.

« Que Justin Trudeau ait parlé d’attentat terroriste mardi, je dois avouer que ça m’a fait plaisir, poursuit-il. En 2017, dans le cas d’Alexandre Bissonnette à Québec, plusieurs ont refusé de parler de terrorisme. J’y vois un certain biais culturel de notre part. C’est comme si on refusait de penser que la haine peut émaner de notre propre culture. On minimise aussi la part de l’extrême droite dans le développement de cette haine. »

Comme d’autres, Martin Geoffroy appelle à une certaine révision du cadre juridique, nécessaire selon lui pour apaiser la souffrance des communautés touchées par ces crimes. « L’excuse qu’on entend souvent dans des cas comme celui de Bissonnette, c’est qu’avec les meurtres, il en a déjà pour la vie. Et comme c’est plus compliqué de prouver que c’est du terrorisme, on laisse tomber. Mais il faudrait peut-être élargir la définition légale du terrorisme », conclut l’enseignant.