Pour freiner l’« exode » à la DPJ, Québec recule sur son engagement d’ajouter du personnel en santé mentale et va jusqu’à suspendre la possibilité pour les travailleurs sociaux de la protection de la jeunesse de postuler des postes ailleurs dans le réseau.

« Lorsqu’on considère la rareté de la main-d’œuvre dans les services relatifs à la protection de la jeunesse, secteur d’activité dont les besoins sont exacerbés par le contexte pandémique actuel, il est essentiel de prévenir les départs qui compromettraient la dispensation des soins et services et de permettre l’attraction de nouvelles ressources », indique la sous-ministre de la Santé Dominique Savoie aux dirigeants du réseau de la santé dans une directive ministérielle que La Presse a pu consulter, datée du 17 mai dernier.

Par conséquent, les autres secteurs des services sociaux écoperont, si l’on se fie à cette directive ministérielle.

« Tous les postes de travailleurs sociaux en santé mentale nouvellement créés (liés à des développements récents) ne pourront être affichés », indique la sous-ministre Savoie. Rappelons que le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux Lionel Carmant avait annoncé une nouvelle enveloppe de 100 millions réservés aux services en santé mentale en novembre dernier.

Québec exige aussi que son réseau de la santé n’affiche pas de postes vacants ou nouvellement créés dans les « services autres que la protection de la jeunesse » pour lesquels les travailleurs sociaux de la DPJ pourraient poser leur candidature (soit les titres d’emploi de techniciens ou de professionnels de la santé et de services sociaux de catégorie 4 dans le jargon du ministère de la Santé).

Dans la directive, on énumère les services suivants : jeunes en difficulté ; dépendances/itinérance ; déficience intellectuelle, trouble du spectre de l’autisme et déficience physique ; programme de soutien aux organismes communautaires ; services sociaux généraux ainsi que services mère-enfant.

« À bout de souffle », « usées » et épuisées, les intervenantes de la DPJ quittent le navire en masse, a révélé La Presse en mars dernier. Un « exode » si important que l’État doit désormais se tourner vers des agences de placement pour pourvoir les postes laissés vacants, a-t-on appris à ce moment.

Lisez notre dossier « “Exode” à la DPJ »

« Inacceptable », dit l’APTS

La nouvelle directive ministérielle a fait bondir l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) – syndicat qui représente une majorité d’intervenantes de la DPJ au Québec. « C’est inacceptable comme façon de faire du gouvernement », lâche le troisième vice-président à l’APTS, Benoît Audet.

Au lieu de rendre les postes à la DPJ attractifs en offrant de meilleures conditions de travail, on enchaîne les intervenantes à leur poste.

Benoît Audet, troisième vice-président à l’APTS

L’APTS planifie l’envoi d’une mise en demeure à la sous-ministre Savoie vendredi, alléguant que cette directive contrevient aux conventions collectives de leurs membres.

« C’est paradoxal : en pleine crise de santé mentale, alors qu’il manque de personnel partout, le gouvernement empêche des ouvertures de poste pour éviter de donner des bonnes conditions de travail aux travailleurs sociaux de la DPJ », déplore pour sa part le député de Québec solidaire Sol Zanetti.

Au cabinet du ministre Carmant, on indique que « ce n’est pas une décision qui a été facile à prendre », mais qu’elle est assumée « pleinement ». « Cette directive émise est évidemment une mesure temporaire et exceptionnelle et vise à répondre à une situation sans précédent en protection de la jeunesse », explique sa porte-parole Marie Barrette. On dénote 58,4 % d’augmentation des signalements comparativement à l’an dernier, à la même date, précise-t-elle. Pour la semaine du 9 mai 2021, nous sommes à 17 659 signalements comparativement à 10 325 l’an dernier, indique-t-elle.

Cette directive vise à s’assurer qu’il n’y ait pas de bris de services en protection de la jeunesse et non à « empêcher » les gens de postuler d’autres postes, assure la porte-parole du ministre Carmant.

« Cette orientation ne comporte aucune interdiction pour les employés en protection de la jeunesse d’appliquer sur d’autres postes, mais vise plutôt à demander aux établissements, dans le cadre de la période d’affichage prévue aux dispositions locales des conventions collectives, de suspendre temporairement l’affichage de certains postes et de privilégier, pour les postes déjà pourvus, une entrée en fonction à l’automne », ajoute-t-on au cabinet du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux.

Dans l’éventualité où un service connaîtrait un « bris de services » susceptible de compromettre la santé et la sécurité des usagers à la suite du non-remplacement d’un poste vacant, l’affichage sera possible avec l’approbation préalable du PDG ou du PDGA, assure-t-on également au cabinet.

Le ministre Carmant avait lui-même récemment utilisé le mot « exode » pour décrire la situation à la DPJ, en entrevue au micro de Paul Arcand en mars dernier. Toutefois, son cabinet nuance ses propos en se basant sur les chiffres d’équivalents temps complet (ETC) selon lesquels il y a une augmentation des ETC en santé mentale de 6,4 % ainsi qu’une hausse de 10,8 % dans l’ensemble des programmes jeunesse entre 2020 et 2021.