(Ottawa) Un homme qui conteste la politique du Canada interdisant aux homosexuels sexuellement actifs de donner du sang veut savoir pourquoi le gouvernement Trudeau tente de bloquer son dossier, malgré l’engagement des libéraux en 2015 de mettre fin à cette exclusion.

Christopher Karas a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre Santé Canada en 2016. Trois ans plus tard, la Commission canadienne des droits de la personne a décidé de renvoyer l’affaire à un tribunal pour une enquête plus approfondie.

Mais le gouvernement fédéral a depuis lancé un examen judiciaire pour empêcher la plainte d’aller plus loin, arguant qu’il s’agit d’une politique non pas établie par Santé Canada, mais plutôt par la Société canadienne du sang (SCS), un organisme indépendant.

M. Karas se dit confus et bouleversé qu’Ottawa conteste son cas, d’autant plus que le premier ministre Justin Trudeau a promis à plusieurs reprises depuis 2015 que son gouvernement mettrait fin à l’interdiction pour les homosexuels du donner du sang.

« J’ai été pris au dépourvu quand j’ai vu la demande de contrôle judiciaire parce que j’avais l’impression que le gouvernement fédéral voulait que cette politique soit éliminée. Mais nous voyons ici tout le contraire », a soutenu en entrevue Christopher Karas.

« Dès le début, je me suis senti très peu valorisé, j’ai senti que je ne pouvais pas contribuer et cela ne faisait que confirmer. […] J’aurais pensé que maintenant nous aurions fait plus de progrès. »

La politique d’exclusion des hommes ayant récemment eu des rapports sexuels avec des hommes (HARSAH) pour le don de sang ou de plasma – à l’origine une interdiction à vie – a été mise en œuvre en 1992 après que des milliers de Canadiens ont été infectés par le VIH et l’hépatite C par des produits sanguins contaminés.

Les critères d’admissibilité des donneurs ont changé depuis. En 2019, Santé Canada a approuvé les demandes de la Société canadienne du sang et d’Héma-Québec de réduire la période pendant laquelle les hommes doivent s’abstenir de toute activité sexuelle avec d’autres hommes avant de donner du sang. L’exclusion d’un an a été portée à trois mois.

Trudeau s’est engagé à plusieurs reprises depuis 2015 à éliminer l’interdiction du sang homosexuel et, à ce jour, son gouvernement a engagé trois millions de dollars dans la recherche visant à adopter des politiques de don plus axées sur le comportement.

Respecter l’indépendance de l’agence

Mais malgré les appels répétés des défenseurs de la santé et des LGBTQ2S et malgré une mention explicite de la promesse de Trudeau dans la lettre de mandat de la ministre de la Santé Patty Hajdu, aucun autre changement de politique ne s’est concrétisé.

Dans sa demande légale à la Cour fédérale, le gouvernement soutient qu’il n’est « pas une partie appropriée à une plainte concernant la politique relative aux HSH ».

« Santé Canada n’exige pas, ne met pas en œuvre ni n’administre la politique sur les HARSAH ou toute autre politique de dépistage sanguin », déclare le gouvernement fédéral dans sa demande de contrôle judiciaire.

« La SCS élabore ses politiques et procédures de manière indépendante et sans lien de dépendance avec Santé Canada. »

Il ajoute que l’indépendance de l’agence du sang par rapport au gouvernement fédéral est « une pierre angulaire du système canadien du sang » et a été l’une des principales recommandations de la Commission Krever, lancée en réponse au scandale du sang contaminé au Canada.

Mais l’avocat de M. Karas, Shakir Rahim, soutient que cet argument ne tient pas la route parce que Santé Canada est l’organisme de réglementation du système d’approvisionnement en sang du pays. Il joue donc un rôle dans les politiques de la Société canadienne du sang, y compris l’interdiction des HARSAH.

« Ils essaient de dire que les actions de Santé Canada concernant l’interdiction du sang ne devraient tout simplement pas être examinées du tout, et cela soulève beaucoup de préoccupations, en particulier parce que c’est ce gouvernement et ses ministres successifs de la Santé qui ont pris position pour mettre fin à l’interdiction du sang », a fait valoir l’avocat.

La question a été soulevée à plusieurs reprises au fil des ans par des députés de l’opposition à la Chambre des communes, dont la semaine dernière pendant la période des questions.

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, et la porte-parole conservatrice en matière de santé, Michelle Rempel-Garner, ont tous deux fait pression sur les ministres du gouvernement sur cet enjeu, la qualifiant de discriminatoire et d’homophobe.

La vice-première ministre Chrystia Freeland a convenu « qu’il s’agit d’une pratique discriminatoire qui fait du tort à beaucoup de Canadiens ». Elle assure qu’Ottawa « travaille très fort en ce moment pour l’éliminer ».

La révision judiciaire devrait être entendue en Cour fédérale le 27 mai.