​Je me souviendrai toujours de ce moment-là. Ça se passe à l’hôtel Gouverneur Place Dupuis de Montréal, un jour d’automne 2012, durant les préauditions de la première saison de La voix. Des centaines d’interprètes défilent devant Esther Teman, la productrice au contenu de l’émission, et moi. Arrive une belle grande fille. On lui demande son nom. Elle nous le dit. Puis elle se met à chanter. Esther et moi, on se regarde, éblouis, on sait déjà que le reste est history. Pour ne pas dire historique.

​Elle fut la grande finaliste de l’équipe de Marie-Mai. Elle n’a pas gagné, mais c’est tout comme. Des millions de personnes elle a envoûtées.

​La dernière fois que je l’ai entendue chanter, en personne, live, c’est le 19 novembre 2018. Je n’avais plus besoin de lui demander son nom. De toute façon, il était écrit sur son clavier : Charlotte Cardin. Et toute la foule le scandait : « Charlotte ! Charlotte ! Charlotte ! » Avec l’accent français. Le public de La Cigale, à Paris, lui faisait un triomphe. Comblant de fierté les Québécois présents.

Le succès est émouvant quand il arrive à quelqu’un qui le mérite. Qui l’a trouvé en cherchant autre chose. En cherchant l’important. En cherchant l’artiste en lui. En cherchant ce qu’il peut apporter. Beaucoup plus que ce qu’il peut retirer.

​Elle a toujours été comme ça, Charlotte. Elle a beau avoir été propulsée, à 18 ans, sur le devant de la scène, par l’émission la plus populaire de la télé, elle n’a jamais perdu le cap. Elle n’a pas fait l’erreur de se croire arrivée. Le voyage ne faisait que commencer. Elle n’a pas voulu tout, tout de suite. Elle a voulu apprendre avant de prendre. Elle est sage dans sa folie, dans son génie. C’est une hypersensible réfléchie. Elle laisse le temps venir à bout de ses angoisses. De son angoisse de créatrice. Elle a raison. Le temps est le meilleur compagnon. Celui qui n’abandonne jamais.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Après une attente de près de huit ans, Charlotte Cardin a lancé son premier album en carrière, Phoenix, vendredi.

​Sauf que nous, on trouve ça long. Ça fait huit ans qu’on attend son premier album. Heureusement, on a eu des chansons. Et quelles chansons ! Les échardes, Faufile, Big Boy, Main Girl, Passive Agressive… Des bijoux. Mais ça nous prenait le coffre. L’écrin. Un album, c’est la mesure de l’œuvre. Du souffle. De la profondeur. De la substance. Des chansons, ce sont des chapitres. Un album, c’est le roman au complet.

​Le voici, enfin ! Il se nomme Phoenix. Il est sorti hier. Les attentes étaient élevées : 2920 jours d’expectative, c’est haut. Mission réussie. Phoenix est un oiseau qui vole le show. Phoenix est un oiseau qui fait renaître en nous tout ce que Charlotte a déjà semé. Au fil des ans et des airs.

​On y trouve 13 chansons, 45 minutes d’enchantement. C’est ça, aussi, l’avantage d’un album, on a du temps devant nous. Du temps pour s’imprégner. Du temps pour goûter. Elle l’a concocté avec sa gang de Montréal. Ses complices avec qui elle chemine artistiquement depuis son premier envol. Elle aurait pu s’entourer de pointures internationales. Son EP Main Girl, en 2017, avait séduit tant Paris que Los Angeles, mais elle a préféré ses collaborateurs des heures de labeur. Ceux qui ont mis le temps. Avec elle. Fidèle à elle-même et à ceux qui l’aiment. Être personnelle pour devenir universelle.

​C’est ce qu’on lui souhaite. Charlotte Cardin a le potentiel pour devenir une star mondiale. À cause de sa voix unique. À la fois puissante et fragile. À la fois belle et troublante. À cause aussi de son immense talent d’autrice-compositrice. Ses chansons sont intemporelles. Du jamais entendu qui, dès la première écoute, semble avoir toujours existé. Un effet qui n’est pas sans rappeler les pièces d’Amy Winehouse et d’Adele. Du classique actuel.

Charlotte a son son. Son style, sa griffe. Son thème : les amours torturées. Vous me direz qu’elle n’est pas la seule à s’étendre sur ce sujet. Vrai, mais sa façon de mordre dans chacun des mots, comme dans autant de blessures, apporte un nouveau frisson au genre.

D’ailleurs, elle écrit et compose si bien que Céline Dion devrait lui commander des chansons. Elles ont des différences qui les rassemblent. Et une passion commune pour les ballades déchirantes. Le temps qui les sépare et aussi ce qui les rallie. Qui aurait dit, avant D’Eux, que Goldman était le match de la diva ? Cardin-Dion, ce serait une connexion céleste. Un gars peut bien rêver.

​Cela dit, assez lu, je vous invite à vous mettre dans les oreilles le Phoenix de Charlotte Cardin, immédiatement. Vous en oublierez le virus, les variants et le couvre-feu.

​La musique, ça reste le meilleur vaccin contre le malheur. Et ça tombe bien, avec un album, la deuxième dose suit la première.

​Bon week-end !

Et encore bravo, Charlotte ! De la part d’un de tes tout premiers fans.