L’Université de Montréal (UdeM) renonce à contester les décisions rendues par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) dans le cas de deux ex-employés morts d’un cancer associé à une exposition à l’amiante.

La décision, prise lundi, est une victoire pour les familles des victimes.

« Ouf ! Je vous dirais que je suis un peu, beaucoup, pas mal soulagée », s’est exclamée Normande Corbin en apprenant la nouvelle. « Mais ce n’est pas parce que l’UdeM renonce aux contestations que le dossier est clos. Il y aura d’autres cas et il faut continuer à sensibiliser les gens et à soutenir les familles des victimes. »

Son mari, Yves Charland, a travaillé comme informaticien pendant 20 ans à l’UdeM, dans un pavillon isolé à l’amiante. Il est mort en novembre 2019, à 73 ans, d’un mésothéliome, une maladie qui peut mettre 20, 30 ou même 40 ans à se développer.

Quelques mois plus tard, la CNESST concluait que la présence d’amiante à l’UdeM et les travaux de désamiantage réalisés au fil des ans étaient responsables de sa mort.

En septembre 2020, une décision semblable était rendue dans le dossier du professeur à la retraite Jean Renaud, mort le mois dernier à 74 ans, lui aussi d’un mésothéliome.

Le cancer qui a causé la mort de M. Renaud était d’origine professionnelle, a conclu la CNESST. Il a été provoqué par une exposition à des poussières et des fibres d’amiante durant ses années de travail au pavillon Lionel-Groulx de l’UdeM.

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Julie Mayer-Renaud, fille de Jean Renaud, mort à la mi-mars d’un cancer associé à une exposition à l’amiante

« C’était son dernier grand dossier, ce combat-là, d’abord avec la CNESST, puis avec l’Université, a réagi sa fille, Julie Mayer-Renaud. Avec une résolution comme ça, on se dit qu’il peut être en paix, finalement. Ça nous aide, nous, à tourner la page sans rancune, sans amertume. »

Le fardeau de la preuve

L’annonce de l’abandon des procédures par l’UdeM a pour effet de permettre le versement des indemnisations réclamées par les familles éprouvées, au terme de nombreuses années de lutte.

Pour avoir gain de cause, l’UdeM avait le fardeau de la preuve. Elle devait démontrer au Tribunal administratif du travail que la maladie de MM. Charland et Renaud avait été provoquée par d’autres motifs que l’amiante en ses murs.

« C’est des dossiers où le régime administratif et juridique actuel crée une présomption que l’employeur doit renverser. Donc, tenant compte de tout ça, on a décidé de ne pas poursuivre les démarches qui ont été amorcées dans ces dossiers, a fait savoir le recteur, Daniel Jutras, en entrevue avec La Presse.

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Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal

On juge que nos chances de succès ne seraient pas suffisantes pour poursuivre la contestation dans le dossier actuel.

Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal

Ce désistement va coûter « des centaines de milliers de dollars » à l’Université, en contributions additionnelles à la CNESST.

« Ce n’est pas l’indemnité qui est de plusieurs centaines de milliers de dollars, c’est l’imputation à l’employeur, précise le recteur. Il y a un facteur de multiplication de l’indemnité versée à la famille qui va au dossier des employeurs de grande taille pour qu’ils puissent financer le régime. »

La présidente du syndicat des professeurs de l’UdeM, Audrey Laplante, s’est dite heureuse de ce dénouement.

« J’aurais évidemment aimé que ça se fasse avant le décès de M. Renaud pour qu’il puisse partir en paix, en sachant qu’il n’avait pas à léguer cette lutte-là à son épouse et à sa fille, a-t-elle dit. Mais je suis néanmoins extrêmement soulagée de voir que l’Université a décidé de prendre ses responsabilités, qu’elle prend la situation de l’amiante au sérieux. Je pense que ça envoie le bon message à nos membres. »

Une cérémonie de commémoration en hommage aux deux victimes aura lieu sur Zoom le 28 avril. Elle a été organisée par l’Association des victimes de l’amiante au Québec (AVAQ), en collaboration avec les syndicats des professeurs et des chargés de cours de l’UdeM.

D’autres cas

Dans le passé, deux autres ex-employés de l’UdeM souffrant de mésothéliome se sont retrouvés devant la CNESST.

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Sandra Ohayon a développé un mésothéliome après avoir travaillé à l’Université de Montréal.

Sandra Ohayon, ancienne secrétaire à l’UdeM, a essuyé un refus d’indemnisation en 2007, à la suite de son cancer. Elle a toutefois touché 25 000 $ des fonds d’indemnisation américains mis sur pied par des entreprises ayant vendu des produits contenant de l’amiante au Canada.

Une autre victime, qui avait travaillé comme concierge de 1966 à 1968, a gagné sa cause à la CNESST, mais l’UdeM a contesté avec succès cette décision, en 2015. L’homme est mort d’un mésothéliome en 2010.

« Pour l’avenir, on a absolument l’intention de respecter les normes, sinon de les dépasser, pour respecter la santé et la sécurité de nos employés », assure Daniel Jutras.