Ça s’appelle le CORIM, le Conseil des relations internationales de Montréal. Il s’agit d’un organisme privé qui organise des conférences sur les relations internationales, comme son nom l’indique. Et le CORIM a eu la très mauvaise idée de dérouler le tapis rouge au porte-parole d’une dictature.

Le 13 avril prochain, le CORIM va donner une tribune à Cong Peiwu, ambassadeur de Chine au Canada. Le thème de sa conférence : « Relations Chine-Canada : quelle voie suivre ? ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Cong Peiwu, ambassadeur de Chine au Canada

Le CORIM a choisi d’accueillir l’ambassadeur d’un pays qui a arbitrairement arrêté deux Canadiens – Michael Spavor et Michael Kovrig – pour s’en servir comme monnaie d’échange dans un jeu où la Chine excelle : la diplomatie des otages.

Le hasard a parfois un goût macabre pour l’humour noir, et ce fut le cas la semaine dernière : Michael Spavor a eu son procès après 830 jours de détention.

M. Cong va nul doute relayer à nouveau la posture de la Chine devant le CORIM, laquelle se traduit ainsi dans les faits, quand on n’a pas de goût pour la propagande totalitaire : « La Chine a toujours raison, et chaque critique est une attaque inacceptable à son ego un peu fragile. »

Spavor est l’un des « deux Michael » qui a eu un procès secret qui n’a rien à voir avec la règle de droit (inexistante en Chine) et tout à voir avec le mauvais théâtre juridique propre aux dictatures : le procès a duré deux heures, aucun témoin extérieur n’a pu y assister et il est garanti que Michael Spavor sera condamné pour une fiction d’espionnage.

Le procès de l’autre Michael, Kovrig, se déroule ce lundi.

La Chine a décidé de pratiquer la diplomatie des otages avec le Canada – comme avec l’Australie – pour avoir arrêté la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, à la demande des États-Unis, en vertu d’un traité de réciprocité internationale avec les Américains.

Le CORIM a donc choisi d’offrir une tribune à l’ambassadeur Cong au pire moment possible du bullying chinois à l’égard du Canada. On comprend l’intérêt du monde des affaires pour nouer des liens avec le formidable marché chinois, mais on se serait attendu à un minimum de décence de la part des leaders du CORIM.

Au moment où les démocraties commencent à comprendre que la libéralisation des marchés ne va pas – contrairement à ce que les génies des affaires et de la politique en Occident pensaient naïvement il y a 25 ans – imposer le pragmatisme dans le cœur de la Chine, le CORIM accorde le prestige de sa tribune à un État qui se comporte comme un voyou sur la scène internationale.

M. Cong, comme tous les apparatchiks chinois, déteste ce qui s’écarte de la plus stricte mièvrerie face à la dictature. Je soumets néanmoins au CORIM une liste de questions qui, de nos jours, sont tout à fait d’intérêt public face à la Chine de ce début du XXIe siècle…

1. Les militants de la démocratie de Hong Kong, arrêtés par le régime et envoyés en prison en Chine continentale : qu’ont-ils fait de mal ?

2. Pourquoi la Chine bafoue-t-elle le traité de rétrocession de Hong Kong avec des lois liberticides ?

3. L’article 38 de la nouvelle Loi sur la sécurité à Hong Kong criminalise la critique même pour des propos tenus hors du territoire chinois : Monsieur l’ambassadeur, si je dis ici que le Tibet devrait être indépendant, vais-je être arrêté si je mets un jour le pied en Chine ?

4. Pourquoi les femmes ouïghoures sont-elles stérilisées de force, pourquoi les Ouïghours ont-ils besoin d’être rééduqués ?

5. Vous dites, Monsieur l’ambassadeur, que les conditions de détention des Ouïghours ne sont que calomnie : pourquoi la Chine a-t-elle si peur d’ouvrir les portes de ces « merveilleux » camps d’internement, qualifiés de camps de concentration par le Département d’État américain, où les Ouïghours sont « rééduqués » ?

6. Les élus canadiens ont accusé à l’unanimité (moins Justin Trudeau et ses ministres) la Chine de génocide, le mois dernier. Comment dit-on ce mot en mandarin ?

7. La Chine utilise son vaste marché pour faire taire les critiques émises à l’étranger, hors de son territoire national – ligues sportives, compagnies aériennes, Apple, Disney, GAP, Google et Marriott, entre autres. Pourquoi est-elle si frileuse devant la libre expression de citoyens étrangers ?

8. Combien de Chinois ont été tués par le régime lors des manifestations de la place Tiananmenen, en 1989 ?

9. En l’absence d’un système judiciaire indépendant, pourquoi devrais-je investir en Chine, au risque de subir l’arbitraire politique en cas de différend entre le Canada et la Chine ?

10. Y aura-t-il un jour des élections en Chine ?

Le CORIM joue le jeu des relations publiques d’une dictature qui ne respecte rien, au premier chef le Canada. Il peut faire œuvre utile en posant des questions qui décoiffent l’ambassadeur de Chine. Je croise les doigts, on ne sait jamais.