Je ne suis jamais content quand mon journal rate une nouvelle, ce qui arrive parfois. Mardi, j’ai vu passer cette nouvelle de la CBC : Trudeau père a demandé à Paul Desmarais, en 1976, juste après l’élection du Parti québécois, de délocaliser des jobs.

Bref, Trudeau espérait priver le Québec d’emplois pour avoir choisi un parti souverainiste pour former le gouvernement.

J’ai lu ça et je me suis dit : intéressante saloperie…

Mais le lendemain, ce n’était pas dans La Presse. Je sais, on l’a ratée, m’a dit mon boss, penaud.

La nouvelle de la CBC était basée sur une note jusqu’ici secrète de l’ambassadeur des États-Unis au Canada à qui Trudeau père avait raconté en 1976 sa demande au fondateur de Power Corp., longtemps propriétaire de ce journal.

PHOTO ANTOINE DESILETS, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Elliott Trudeau, en 1972

(Paul Desmarais, semble-t-il, n’a pas obéi au PM de l’époque. Il a même publiquement conseillé aux gens d’affaires de ne pas quitter le Québec.)

La nouvelle de la CBC ajoute à ce qu’on savait depuis des décennies : Pierre Elliott Trudeau était un chef politique sans scrupules, pour qui tous les coups étaient permis pour soumettre le Québec, de l’envoi de l’armée en 1970 à son désaveu de Meech en 1990, en passant par le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982.

PET, matamore politique, qui espérait qu’un capitaine d’industrie punisse le Québec économiquement… C’est intéressant, oui.

Mais journalistiquement, c’est pas le Watergate non plus, calmons-nous.

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Ce qui m’amène aux médias de Québecor.

Je déteste parler des choix éditoriaux des autres médias. Tous les médias vivent dans des maisons de verre, nous avons tous des angles morts, comme je l’ai déjà expliqué1

Mais comme le chroniqueur du Journal de Montréal Richard Martineau se permettait jeudi de donner son opinion sur La Presse avec toute la malhonnêteté qui l’habite parfois2, je vais me permettre de revenir sur la couverture faite par le JdeM de cette nouvelle PET-Desmarais. Ce qui est bon pour Pitou est bon pour Minou, comme dit Martineau…

Mercredi, donc : la une du JdeM, un spread de deux pages en 4 et en 5, pas moins de quatre chroniques ; jeudi : encore trois chroniques. Bref, tout ça est traité comme si ces faits remontant à 44 ans étaient des révélations à ce point explosives qu’elles allaient durablement changer la donne politique…

(Je passe outre à la couverture de LCN.)

C’est pas un peu, euh, comment dire… Exagéré ?

C’eût été une bombe dans les mois, voire dans les années suivant 1976, bien évidemment. Mais 529 mois plus tard, 44 années plus tard et deux référendums plus tard, en 2021 ?

J’ose cette réponse : pas vraiment.

Pas grave : ç’a été couvert comme un scoop immense dans les pages et sur les ondes des médias de Québecor. Et après toute cette enflure, Martineau a osé jeudi parler de La Presse comme d’un journal de propagande fédéraliste, parce qu’on a raté la nouvelle.

Poutre, je te présente la paille…

Le Devoir, en passant, n’a pas couvert ces révélations mercredi. Il faut croire que la nouvelle PET-Desmarais de 1976 excite assez peu des médias qui ne sont pas dirigés par un ancien chef du PQ.

(Combien d’ex-péquistes commentent la politique chez Québecor, au fait ?)

Dans les années où la souveraineté était au cœur de la vie politique québécoise, les pages éditoriales de La Presse ont été très – trop – fédéralistes, dans une rupture souvent gênante avec la température du lectorat québécois sur cet enjeu. J’en conviens. Je n’ai pas vécu cette époque (arrivé en 2006) et j’en suis content.

Mais hors de l’édito, rappelons que, dans ces années où le Oui et le Non dominaient notre vie politique, les deux chroniqueurs les plus populaires de l’histoire de La Presse, Pierre Foglia et Réjean Tremblay, étaient ouvertement souverainistes. Ils ne se cachaient pas d’espérer un Québec souverain et de déplorer notre appartenance au Canada dans les pages d’un journal dirigé par un ardent fédéraliste…

Scusez, mais les équivalents modernes de discordances à la Foglia et Tremblay dans le JdeM de 2021, des voix fédéralistes assumées, bien jouées, mises en valeur éditorialement, dissidentes de l’opinion du patron…

Elles sont où ? Je vois pas. Peut-être qu’un jour, Martineau sera cette voix fédéraliste : ce ne serait pas la première fois qu’il changerait d’idée.

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Les médias de Québecor ont une énorme force de frappe. Ils sont souvent au diapason du pouls des Québécois.

Sur l’identité, par exemple, il n’y aurait pas de loi 21 sur les signes religieux sans la force de frappe de Québecor. Il y a eu, là-dessus, une symbiose entre le sentiment collectif et le relais médiatique du JdeM, du Journal de Québec, de LCN et de TVA…

Mais sur la question de la souveraineté, je lis certains chroniqueurs du JdeM et, By Jove comme disait Parizeau, mon Dieu que le divorce avec le réel est gênant. C’est comme si la souveraineté était une question urgente qui brûlait dans le cœur de nos compatriotes qui se lèvent le matin pour aller travailler, en Zoom ou en présentiel…

Sauf que ce n’est pas le cas.

Juste un rappel : le Parti québécois, seul parti dont la souveraineté est LA raison d’exister, a poursuivi sa glissade historique en 2018 avec un score de 17 % et 10 candidats élus, 688 000 Québécois ont voté PQ aux plus récentes élections. Et ça glisse depuis 19983.

Québecor, disais-je, a un flair certain pour sentir l’humeur des Québécois. On peut penser que la seule force de frappe de ce géant médiatique peut influencer le cours des choses…

Sauf que c’est faux. C’est un tango, un tango avec le public qui dicte le succès des médias de Québecor, dans le réel. Les médias ont une influence si leurs couvertures – et, des fois, leurs croisades – trouvent un écho dans le sentiment populaire.

Prenez Star Académie, prenez La voix : oui, la machine Québecor a propulsé ces émissions avec sa machine à converger. Mais il y avait – il y a – une réelle affection du public pour ces émissions bien faites, qui possèdent ce mystérieux petit oumpf télévisuel qui fait vibrer l’audimat. Idem pour l’identité, pour la loi 21 : il y avait un fond, il y avait un intérêt des Québécois envers ça.

Mais des fois, Québecor se goure. Rappelez-vous XOXO, émission de téléréalité : Québecor a mis sa machine à converger derrière XOXO, les journaux, les magazines, les abribus, TVA, enweye, XOXO partout, miam, XOXO

Pis ça n’a pas levé. Les Québécois se fichaient de XOXO. La machine Québecor n’a pas pu imposer XOXO.

Je regarde tous les efforts faits par les médias de Québecor pour que les Québécois se déchirent la chemise sur le complot politico-industriel PET-Desmarais de 1976 et deux choses me frappent…

Un, ça ressemble plus à de la propagande souverainiste qu’à du journalisme.

Deux, la souveraineté, en 2021, c’est le XOXO de la politique : les Québécois s’en fichent.

Et il n’y a que les derniers électeurs du PQ et certains chroniqueurs du JdeM pour vivre dans un monde de Calinours où les Québécois montent au créneau parce qu’une nouvelle saloperie de Trudeau père, 44 ans plus tard, a été exhumée.

1. « Le philosophe Daniel Weinstock se défend contre Richard Martineau », La Presse, 20 février 2020

2. « Angles morts », La Presse, 2 septembre 2019

3. « Le péril jeune du Parti québécois », La Presse, 21 septembre 2016