La Commission de toponymie du Québec a dévoilé jeudi la liste de 12 noms de lieux, parmi les 1200 baptisés en 2020, qui sont en lice pour le titre de « coup de foudre » de l’année. Lequel aura la faveur du public ? Nous avons demandé à l’historien et photographe aérien Pierre Lahoud, un passionné du patrimoine et des paysages québécois, de choisir ses cinq dénominations préférées.

Parc du Ruisseau-du-Pont-à-l’Avoine

Quartier Saint-Michel, Montréal

Jusqu’en 2020, ce petit parc situé à l’intersection de la rue Everett et de la 8e Avenue, non loin de la station de métro Saint-Michel, portait un nom un peu simplet : le parc du Bon-Air. La Commission de toponymie a officialisé l’été dernier un nom plus long, mais beaucoup plus évocateur, en ressuscitant un ruisseau oublié, celui du Pont-à-l’Avoine. Il coulait à la limite sud du parc, le long de ce qui est aujourd’hui la cour de l’école primaire Saint-Mathieu, avant de se jeter dans le ruisseau Molson, qui lui-même se déversait dans le fleuve. La Commission cite un article du Devoir du 4 janvier 1937 : « Ce ruisseau porte le plus joli nom qui puisse se trouver : le ruisseau du Pont-à-l’Avoine ou le ruisseau des Avoines, comme disent quelques-uns. Ce nom […] lui vient de ce qu’il allait du côté des grandes prairies où l’on devait probablement cultiver l’avoine. » Pierre Lahoud apprécie la volonté de faire revivre un lieu disparu. « Mais s’il fallait noter tous ces beaux lieux maintenant disparus qui étaient bien identifiés sur les cartes géographiques, on en aurait pour des semaines… »

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Chute des Pitounes Volantes

Parc national de la Jacques-Cartier (Capitale-Nationale)

Dans son ancienne vie, avant que la zone ne soit désignée parc national, en 1981, la rivière Jacques-Cartier a longtemps charrié des rondins de bois – les fameuses « pitounes » – des forêts de résineux au sud du Saguenay jusqu’au moulin de Donnacona, près de Québec. En mai dernier, la Commission a officialisé le nom de l’étang, du ruisseau et de la chute des Pitounes Volantes, tout petit filet d’eau qui coule dans un secteur isolé du sud du parc national, avant de se jeter dans la rivière à la Chute, puis dans la Jacques-Cartier. « C’est évocateur, c’est drôle, presque poétique et ça illustre une activité disparue », observe Pierre Lahoud. « Juste en lisant le nom, on voit bien les pitounes qui s’envolent au-dessus de la chute. » La rivière Jacques-Cartier a servi à la drave jusqu’en 1975.

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Gueule de la Damnée

Saint-Damase-de-L’Islet (Chaudière-Appalaches)

Il y avait déjà la rivière Damnée, dont le nom a été officialisé en 1968, mais qui était utilisé au moins depuis 1857, « année durant laquelle le gouvernement du Canada-Uni y fait construire un pont », note la Commission. Et il y a désormais la gueule de la Damnée, qui désigne l’embouchure de cette rivière qui se jette dans la rivière Ouelle à environ 10 km au sud-est de Saint-Damase-de-L’Islet, en Chaudière-Appalaches. Faisant une quinzaine de kilomètres de long, la Damnée prend sa source au bas du mont Fournier, se faufile parmi les monts Notre-Dame avant de se jeter dans la rivière Ouelle. Qui était cette Damnée ? On l’ignore. « Mais le nombre de lieux au Québec où on sent l’influence du Malin est impressionnant », dit Pierre Lahoud. Juste avec le mot « enfer », on a créé des « portes » (en Gaspésie, en Arthabaska, dans Charlevoix…), des « lacs » (à La Tuque, et dans l’Outaouais…) et même un « bras » au Saguenay. « Ça fait référence à la religion catholique et à ce souci constant de ne pas sombrer dans le péché. »

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Lac Petapan

Lac-au-Brochet (Côte-Nord)

Voilà une curiosité. Alors que les lacs sont souvent nommés selon leur forme (rond, long, carré…) ou par le nom d’un de ses premiers célèbres pêcheurs, ou d’un saint quelconque qui n’y a jamais mis les pieds, voici un lac qui porte le nom d’une habitude : celle de « fixer les départs en raquette avant le lever du soleil, à l’aube, afin d’éviter de marcher dans la neige à un moment de la journée où celle-ci colle aux raquettes », explique la Commission. Il s’agit d’un mot d’origine innue qui signifie justement « aube » et qui se prononce « pé-da-benne ». « Enfin un toponyme emprunté à la langue innue, si poétique et si imagée, qui fait également référence à des activités traditionnelles », s’enthousiasme Pierre Lahoud. Pour vous rendre sur ce lac faisant un demi-kilomètre de long, il vous faudra en effet vous lever de bonne heure : de Forestville, sur la Côte-Nord, empruntez la route 385 jusqu’à Labrieville (environ deux heures), puis une série de chemins forestiers qui passent non loin du lac (un conseil : ne comptez pas sur Google Maps pour vous venir en aide…).

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Montagne des Pas de Géants

Saint-Siméon (Capitale-Nationale)

Avec une élévation de 300 m, il est à peine plus haut que le mont Royal (233 m). Mais ce n’est pas une raison pour ne pas lui donner un nom. « Contrairement à plusieurs autres civilisations, on commence à peine à nommer les paysages qui nous entourent », dit Pierre Lahoud. « En Mongolie, par exemple, chaque montagne, chaque butte a un nom. » Ici, la Commission en a officialisé un fort joli : la montagne des Pas de Géants. Quand on le regarde depuis le lac du Port aux Quilles (au nord-ouest de Saint-Siméon, dans la région de Charlevoix) qu’il surplombe, « la forme du mont rappelle des pas de géants », écrit la Commission. Vraiment ? Une autre explication, plus prosaïque, est également proposée. « L’appellation s’inspire aussi du désir des acteurs locaux de voir les usagers et usagères du territoire prendre conscience de l’importance de la préservation de la nature et faire des “pas de géants” en ce qui concerne leurs comportements vis-à-vis de l’environnement. » Le message est passé.

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D’autres noms en lice

Les sept autres lieux sur la liste des finalistes portent aussi des noms à faire rêver : on y trouve l’édifice « des Chemins-d’Été » à Vaudreuil-Dorion (oui, oui, comme dans le ver d’oreille « Dans ma Camaro, je t’emmènerai sur tous les chemins d’été… », de Steve Fiset), l’allée du Chafaud sur la Basse-Côte-Nord (du nom du quai sur pilotis qui est démonté pour la saison hivernale et ensuite reconstruit au printemps), la rue Awacak à Trois-Rivières (qui signifie « petit être de lumière » ou « enfant » en atikamekw), le parc des Trois-Bérets de Saint-Jean-Port-Joli (d’après les frères Médard, André et Jean-Julien Bourgault, qui sculptaient le bois coiffés d’un béret), la place des Rochelais de Matane (un hommage aux pionniers français débarqués de La Rochelle), le chemin des Saumoniers à Saint-Elzéar en Gaspésie (qui mène les pêcheurs vers les fosses à saumon de la rivière Bonaventure) et la rue des Paillettes-d’Or à Sherbrooke (qui rappelle la ruée vers l’or en Estrie de 1860 à 1910). Le vote pour désigner le « coup de foudre du public » se poursuit jusqu’au 9 février.

> Consultez le site de la Commission de toponymie du Québec