Le français ? Bof !

C’est le drôle de message que le ministère de l’Enseignement supérieur a envoyé en annonçant fin novembre que, pandémie oblige, on suspendait l’exigence de réussir l’épreuve uniforme de français pour obtenir un diplôme d’études collégiales.

PHOTO GETTY IMAGES

Le ministère de l’Enseignement supérieur a annoncé à la fin du mois de novembre que l’exigence de réussir l’épreuve uniforme de français pour obtenir un diplôme d’études collégiales était suspendue.

Que les circonstances exceptionnelles que nous vivons conduisent à des mesures exceptionnelles, c’est tout à fait justifié. Le hic, c’est que la directive ministérielle, formulée de façon très floue, laissait entendre que l’exception allait devenir la règle et que la mesure serait rétroactive, a révélé ma consœur Lisa-Marie Gervais dans Le Devoir, samedi.

LISEZ l’article du Devoir 

La directive du Ministère, datée du 30 novembre, a suscité l’inquiétude de nombreux enseignants de cégep, qui ont eu l’impression que l’on rayait d’un trait, en catimini, plus de 20 ans de travail, sans même les consulter.

Dans une tournure quelque peu sibylline, la lettre du Ministère stipule en effet que l’exemption de l’examen vaut non seulement pour les élèves de la cohorte touchée par la pandémie, mais pour tous ceux qui ont réussi les trois premiers cours de littérature de la formation générale, y compris ceux qui ont échoué à cet examen depuis son instauration… en 1998 ! Une aberration dénoncée par près de 300 enseignants de cégep dans une lettre ouverte. Ils craignent l’abandon d’un « symbole fort de la valorisation du français et de la littérature au sein de la société québécoise ».

> LISEZ la lettre 

La journaliste Lisa-Marie Gervais a invité le Ministère à clarifier les choses. Jusqu’où va la mesure rétroactive ? Est-ce qu’un élève de 1998 à qui il ne manquait que son épreuve uniforme de français pourrait désormais obtenir son diplôme d’études collégiales ?

Comme nous l’ont répété maintes fois nos profs de français en reprenant les mots de Boileau, « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Or, loin de clarifier quoi que ce soit, la réponse reçue plusieurs jours plus tard par la journaliste n’a fait qu’alimenter le flou et les inquiétudes. Le Ministère n’a pas infirmé le caractère rétroactif de la mesure, mais seulement précisé qu’elle a été mise en place « principalement » pour les élèves qui ne peuvent actuellement passer l’examen en raison de la pandémie.

La réponse ne dissipe pas les craintes des enseignants qui ont entendu la ministre Danielle McCann dire qu’elle se préoccupait des taux de diplomation dans les cégeps. « L’annulation de l’Épreuve doit-elle être comprise comme une mesure favorisant la diplomation ? », demandent-ils dans leur lettre ouverte.

Il y a pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs ? Pas de problème ! Dispensons les élèves de l’examen ministériel en français, et le tour sera joué… Pour un gouvernement qui fait de la défense de la langue une priorité, ce serait pour le moins inconséquent.

De même, offrir l’examen à distance en mai 2021, comme l’a demandé la ministre McCann, ne semble pas être exactement une solution si l’on veut autre chose qu’un examen bidon. Car comment pourrait-on s’assurer à distance que les élèves n’aient pas recours au correcteur automatique ou à Antidote ?

L’épreuve actuelle n’est déjà pas très exigeante (trop peu, selon certains). Il s’agit d’une dissertation critique de 900 mots qui vise à vérifier que les élèves ont des compétences minimales en français. Un élève peut faire jusqu’à 30 fautes et tout de même réussir.

S’il est tout à fait sain et justifié de suspendre certaines exigences pour des cégépiens qui poursuivent leurs études dans un contexte pandémique plus anxiogène que jamais, on ne rendra service à personne à long terme en offrant des diplômes au rabais.

***

Les enseignants ont-ils raison de s’inquiéter ?

J’ai posé la question au ministère de l’Enseignement supérieur, lundi. Au moment d’écrire ces lignes, je n’avais toujours pas reçu de réponse. Mais au cabinet de la ministre McCann, on m’assure que, dans « l’esprit de la lettre » envoyée aux directions des collèges, il n’a jamais été question que la mesure soit rétroactive.

À la suite de la publication de l’article du Devoir, le cabinet a demandé au Ministère de clarifier ses intentions par communiqué.

« Ce qui a été dicté concerne les étudiants touchés par la pandémie. Il n’est pas question de remonter 20 ans en arrière ! » me dit Alexandre Lahaie, directeur des communications. Il n’est pas non plus question d’abandonner l’épreuve uniforme de français, ajoute-t-il.

Si c’était si clair, pourquoi ne pas l’avoir énoncé clairement dès le début ? Voilà qui est moins clair.

Le genre de confusion qui rappelle que la défense de la langue doit se faire sur plus d’un front. Elle exige l’exemplarité de la part de l’État, que ce soit pour s’assurer que ses directives ministérielles concernant les examens de français sont rédigées en bon français ou qu’une alerte de couvre-feu n’est pas truffée d’erreurs comme ce fut le cas samedi — « Restez à la maison et respecter [sic] le couvre-feu… », lisait-on dans l’alerte à la nation pour laquelle le ministère de la Sécurité publique a présenté ses excuses.

Bref, ce n’est pas simple comme « Bonjour/Hi ».