Le pont Pierre-Laporte est plus malade qu’on ne le croyait. Le ministère des Transports du Québec (MTQ) devra mener avant la fin de décembre des travaux de remplacement d’urgence de deux câbles de suspentes qui soutiennent le tablier du pont emblématique de Québec. Les camions seront déviés vers le centre du pont pour éviter toute charge excédentaire sur les côtés de l’ouvrage, et des ingénieurs du Ministère seront sur place en tout temps « pour s’assurer qu’il n’y a pas d’autres éléments qui peuvent affecter la capacité du pont ».

Selon les informations obtenues par La Presse, l’état de certaines suspentes a été jugé suffisamment sérieux par les ingénieurs du MTQ pour qu’ils fabriquent un support temporaire permettant d’alléger les charges sur ces câbles et de sécuriser la structure, en cas de défaillance.

Les suspentes sont ces nombreux câbles d’acier verticaux, fixés aux deux grands câbles porteurs du pont, qui servent à soutenir le tablier suspendu sur lequel circulent quotidiennement plus de 125 000 véhicules, dont environ 7500 poids lourds.

Le MTQ a confirmé à La Presse, tard mercredi soir, que ces travaux de remplacement doivent être réalisés avant les premières grosses bordées de l’hiver. L’accumulation de neige, précise la porte-parole du MTQ, Émilie Lord, « pourrait nuire grandement à l’intervention ».

Les suspentes « sont en production », et les travaux seront amorcés « dès leur réception, prévue vers la mi-décembre », a précisé Mme Lord.

Les travaux entraîneront des fermetures majeures de nuit. Deux voies de circulation sur trois devront être retranchées dans chaque direction.

La voie de droite, sur le pont Pierre-Laporte, est déjà interdite aux camions, pour réduire les charges sur les côtés du pont, et cette « restriction devrait être en vigueur jusqu’à ce que les suspentes neuves soient mises en place », a précisé le MTQ.

« Complexe et unique »

Circuler sur le pont Pierre-Laporte demeure sécuritaire, mais le remplacement non prévu d’éléments aussi importants que des suspentes n’en représente pas moins une alerte sérieuse pour une infrastructure « aussi unique » de 51 ans, affirme le président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Marc-André Martin.

L’APIGQ a accepté de modifier la liste des services essentiels que ses membres doivent réaliser dans le cadre de la grève qui débute ce jeudi, pour une durée indéfinie, et au cours de laquelle les membres de l’association refuseront de travailler le soir, la nuit et les fins de semaine. Les ingénieurs du gouvernement sont sans convention collective depuis mars 2020.

Mais il n’est pas question de faire de la politique avec la sécurité du public, et quand le Ministère nous a informés de la situation, nous avons accepté d’inclure les travaux de démantèlement des plateformes et de remplacement des suspentes, qui vont se dérouler de nuit.

Marc-André Martin, président de l’APIGQ

« Étant donné leur nature complexe et unique », indique la note interne, ces travaux nécessitent la présence du « concepteur » de la Direction générale des structures et d’un ingénieur de la Direction générale Chaudière-Appalaches.

Le président de l’APIGQ a loué l’ingéniosité des professionnels du MTQ, qui ont dû improviser un support temporaire pour alléger les charges et sécuriser les suspentes en cas de défaillance, en attendant leur remplacement.

« Ce n’est pas anodin comme intervention, insiste M. Martin. Ce n’est pas le genre de travaux qu’on fait soudainement sur un pont de cette envergure, et ce n’est pas le genre de défaut qui apparaît tout d’un coup. »

Un rare pont suspendu

Les ponts suspendus sont rares au Québec. Des 9725 ouvrages d’art répertoriés dans l’inventaire des structures du réseau routier du MTQ, on en compte… quatre. Deux de ces ponts sont situés au-dessus de la rivière Saint-Maurice, à Shawinigan et à La Tuque. Leur reconstruction remonte à la Première Guerre mondiale.

Les deux autres sont situés à une vingtaine de kilomètres l’un de l’autre : ce sont le pont de l’île d’Orléans, construit en 1935, en fin de vie utile, et qui sera remplacé par un pont à haubans ; et le pont Pierre-Laporte, le plus jeune des quatre, inauguré en 1970. On n’a donc pas construit de pont suspendu au Québec depuis plus d’un demi-siècle.

« Ces travaux-là devraient être l’occasion pour le Ministère d’examiner l’état de son expertise pour un pont qui est unique au Québec, et pour lequel on aurait dû depuis longtemps construire une équipe d’ingénieurs dédiés, estime le président de l’APIGQ. Surtout qu’à 51 ans, le pont Pierre-Laporte arrive à un âge où il va avoir besoin de réparations importantes. »