Il n’y a pas de période plus délicate pour un journal que les campagnes électorales…

La couverture journalistique est scrutée à la loupe. Le nombre de manchettes pour l’un et l’autre des candidats est comptabilisé. Le choix des photos est analysé. Les textes sont lus à la recherche d’un parti pris.

Et la plupart du temps, les lecteurs finissent par voir un parti pris quelque part… lequel défavorise habituellement leur candidat préféré !

« Vous semblez avoir donné plus de couverture à Denis Coderre, mais peut-être suis-je biaisé par mon souhait exaucé de sa défaite », écrit avec franchise Normand Boivin, un lecteur de La Presse.

« Comme toujours, une bonne couverture. Mais qui avantage Valérie Plante, c’était flagrant et décevant. Vous comprenez que j’ai perdu mes élections municipales », reconnaît pour sa part Daniel Dubois.

Ainsi va la vie dans une salle de rédaction : une difficile quête du juste équilibre, qui va déplaire autant d’un côté que de l’autre !

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante et Denis Coderre

***

C’est pour pousser la réflexion plus loin que nous vous avons posé la question, mardi : qu’avez-vous pensé de la couverture électorale de La Presse ? Et vos réponses fort nombreuses et plutôt élogieuses m’ont fait plaisir, car chaque jour, par courriel ou sur les réseaux sociaux, des lecteurs déplorent une couverture trop teintée.

Dans le cas de la campagne qui s’est terminée lundi, les critiques ont commencé dès la publication des extraits du livre Retrouver Montréal de Denis Coderre en mars dernier. Certains ont vu dans ce texte un élément prévu au plan de communication du candidat… tandis que d’autres ont plutôt vu une tentative de torpiller ce même plan de communication !

« Honnêtement, j’avais la perception pendant la campagne que vous privilégiiez Denis Coderre grâce à une mise en page favorable et des commentaires plus positifs à son égard », écrit Richard Champagne.

« Votre couverture était teintée en faveur de Denis Coderre, même dans le choix des photos. Coderre en grand format et Plante en médaillon, et de préférence faisant une grimace. Vraiment pas subtil », déplore Franca Toinugo.

« Belle couverture pour Montréal, mais un gros parti pris pour M. Coderre, renchérit Claude Duval. Les reportages de celui-ci restaient plus longtemps à la une que ceux des autres partis. »

En revanche, Denyse Fortin nous accuse d’avoir « un net penchant pour Mme Plante, qui a réussi grâce à la couverture de sa campagne à faire passer Denis Coderre comme malhonnête ».

« C’était clair que La Presse était du côté de Valérie Plante », ajoute Line Leclair, qui déplore « une uniformité de pensée ».

Un penchant certain en faveur de l’un et de l’autre : ça ressemble à une couverture équilibrée, non ?

***

Mettons une chose au clair tout de suite. La Presse n’a cherché à favoriser aucun candidat, pas plus dans sa couverture journalistique que dans ses chroniques et éditoriaux.

D’ailleurs, j’en profite pour souligner que La Presse n’a pris position formellement pour aucun candidat, ni dans ces élections municipales ni dans les fédérales qui les ont précédées. Car cette tradition a été abandonnée en 2018 quand j’étais moi-même éditorialiste en chef.

Quand nous avons pris le virage numérique, nous avons attiré un grand nombre de nouveaux lecteurs. Et ces derniers ont très mal réagi quand ils ont lu des éditoriaux qui appuyaient un parti ou un candidat. Leur message, que nous avons entendu : « Faites-nous réfléchir en creusant les enjeux plutôt que de nous dire pour qui voter. »

J’insiste tout de même sur une chose : jamais ces prises de position passées n’ont eu d’influence sur la couverture des évènements. L’éditorial est non seulement indépendant de la salle de rédaction, il en est physiquement séparé.

La différence avec la situation qui prévalait avant est donc simplement que La Presse, comme institution, a décidé que l’éditorial ne prendrait plus position lors des élections.

« J’ai bien aimé que vous ne preniez pas parti pour l’un ou pour l’autre et je vous encourage fortement à garder cette distance pour les autres paliers gouvernementaux », se réjouit d’ailleurs Christian Lemire.

Et nous allons continuer de le faire, avec le souci constant de garder un ton le plus juste et équilibré possible.

***

Et quand je dis équilibré, comprenez-moi bien : je ne prétends pas que nous calculons le nombre de chroniques pour en avoir un nombre égal d’un bord et de l’autre.

Ce n’est pas ça, le travail des journalistes d’opinion. C’est plutôt de réagir à l’actualité et aux campagnes des candidats.

« Le traitement servi vers la fin de la campagne à Denis Coderre aura largement permis à sa seule véritable adversaire de rafler la mise, nous reproche néanmoins Jean-Charles Morin. Le quatrième pouvoir a transformé une lutte qui s’annonçait serrée en véritable raclée. »

Mais ce à quoi M. Morin fait référence, ce n’est pas autant à une couverture qui n’a pas été positive pour Denis Coderre… qu’à une campagne qui ne s’est pas déroulée positivement pour M. Coderre.

Les journalistes n’ont pas inventé les atermoiements du candidat sur l’utilisation d’un cellulaire au volant, ni sur les contrats signés avec des entreprises privées depuis 2017.

« Même si je sentais un petit zéphyr de sympathie pour Mme Plante, votre couverture a été honnête. M. Coderre s’est tiré dans le pied à plusieurs reprises et il aurait fallu s’appeler Fox News pour ne pas le reconnaître », souligne d’ailleurs avec justesse Robert Fleury.

Une campagne est quelque chose d’organique, et les journalistes témoignent de ce qui s’y passe en offrant à chacun des occasions équivalentes de faire valoir leurs promesses et plateformes. Tandis que les journalistes d’opinion commentent ce qui se passe et, la plupart du temps, ce qui retrousse.

Si un candidat mène une moins bonne campagne, il risque tout simplement de récolter une moins bonne couverture.

***

Je termine sur une erreur que nous avons commise. Lundi soir, nous avons annoncé la victoire de Marie-Josée Savard, pour ensuite nous dédire et accorder la victoire à Bruno Marchand.

C’était donc une erreur et nous nous en excusons.

L’importance du vote par anticipation a probablement faussé la tendance qui émanait des premiers résultats. Et nous avons tiré des conclusions hâtives, comme les autres médias écrits, dans la foulée des réseaux de télévision.

Nous allons réfléchir à nos processus pour les prochaines soirées électorales pour nous assurer qu’une telle erreur ne se reproduise pas, surtout dans un contexte où le vote par anticipation gagne en popularité.

Écrivez à François Cardinal