À l’automne 2011, les tentes du mouvement Occupy Wall Street s’installaient sur les places publiques de plus de 1500 villes, dont Montréal, et dans près de la moitié des pays du monde. Des milliers de personnes revendiquaient une démocratie plus participative et la redistribution équitable de la richesse. Dix ans plus tard, que reste-t-il du mouvement Occupy ?

Occupons Montréal, un mouvement qui a fait des petits

À Montréal, le square Victoria a été occupé pendant six semaines. Des tentes ont émergé des projets qui existent encore aujourd’hui. Surtout, la question des inégalités sociales s’est frayé un chemin jusqu’au monde politique – comme en témoigne la campagne électorale actuelle.

« On a deux [principaux] candidats à la mairie [Valérie Plante et Denis Coderre] qui sont côte à côte pour nous dire ce qu’ils vont faire pour les inégalités sociales. C’est quelque chose qu’ils n’auraient jamais fait il y a 10 ans », affirme d’entrée de jeu Paul Bode, directeur du centre communautaire St Jax au centre-ville de Montréal. Le 15 octobre 2011, comme des centaines d’autres, il a convergé vers le square Victoria pour participer au mouvement planétaire Occupy Wall Street, baptisé localement Occupons Montréal.

  • Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

    Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

  • Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en octobre 2011

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en octobre 2011

  • Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

    Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

  • Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en octobre 2011

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en octobre 2011

  • Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en octobre 2011

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en octobre 2011

  • Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en octobre 2011

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en octobre 2011

  • Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

    PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

    Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

  • Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

    PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

    Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

  • Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

    PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

    Campement d’Occupons Montréal, au square Victoria, en novembre 2011

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« Je me souviens vraiment de l’élan des deux premières semaines. Il y avait un grand enthousiasme, une belle participation », raconte Paul Bode.

Je commençais à devenir un peu cynique par rapport au militantisme. En arrivant à Occupons Montréal, c’était une table rase. On pouvait inventer quelque chose de nouveau.

Paul Bode, directeur du centre communautaire St Jax au centre-ville de Montréal

Pour Raïs Zaidi, comme pour beaucoup d’autres, c’était une première expérience de militantisme. « Je ne sais pas ce qui m’a amené à y aller [au square Victoria], ce jour-là, le 15 octobre. Je ressentais une envie, j’avais besoin d’être là », explique le fondateur des Pirates Verts d’Hochelaga, organisme qui distribue gratuitement de la nourriture à Montréal.

« Il y avait du monde de vraiment tous les backgrounds, de n’importe où, de partout », se remémore-t-il. Cuisinier de formation, il s’est retrouvé responsable de la nourriture dans le camp pendant toute la durée de l’occupation. Depuis, il continue de nourrir les Montréalais.

« Ça a alimenté mon espoir de voir monsieur et madame Tout-le-Monde se mobiliser », raconte Carminda Mac Lorin, qui était chargée du volet culturel du rassemblement, recevant des artistes comme Loco Locass et Luc De Larochellière. Des gens descendaient de la tour de la Bourse pour nous remercier de faire ça ! », se souvient-elle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Carminda Mac Lorin, ancienne militante d’Occupons Montréal, a depuis fondé l’organisme Katalizo.

La diversité des individus réunis par Occupons Montréal reflétait une variété de revendications : « Pauvreté, environnement, écoféminisme : on se retrouvait à croiser des perspectives qu’on ne connaissait pas », se rappelle Carminda Mac Lorin. Une façon d’amener le « wokisme » dans le discours dominant, croit Paul Bode.

« C’était une sorte de rejet des institutions traditionnelles, des partis politiques traditionnels, des syndicats traditionnels. On les repoussait, et on repartait de rien », résume Paul Bode.

La fin des tentes, le début des projets

Le campement du square Victoria a été démantelé de façon pacifique le 25 novembre 2011.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Démantèlement du campement d’Occupons Montréal, le 25 novembre 2011

« Contrairement à ce qui s’est passé avec les Indignés en Espagne, au Québec, les manifestants sont restés plus de trois semaines sur place, en tout temps », explique Pascale Dufour, spécialiste des mouvements sociaux à l’Université de Montréal. « Ça a entraîné des difficultés liées à une occupation à très long terme. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le campement d’Occupons Montréal était recouvert d’un manteau blanc le 23 novembre 2011.

« On en était surtout à gérer un campement, plus qu’à faire de la politique, déplore Paul Bode. Vers la fin, on a perdu beaucoup de monde. Une partie importante du campement était des sans-abri, même si la plupart nous aidaient beaucoup », se souvient-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Fady Dagher, chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil, était responsable des relations avec la communauté au Service de police de la Ville de Montréal en 2011.

Face à l’occupation, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a choisi une approche de médiation plutôt que de répression. « Ce que j’ai suggéré, c’est qu’étant donné qu’il allait faire froid dans quelques semaines, il fallait qu’on négocie avec les gens pour une fin pacifique », se souvient Fady Dagher, alors responsable des relations avec la communauté du SPVM. […] Ç’a été payant, mais c’était très risqué [avec la pression politique et médiatique] », reconnaît celui qui est aujourd’hui chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil.

Le legs d’Occupy : parler des inégalités

Le mouvement Occupy Wall Street n’a pas mis fin au capitalisme ni fait tomber la Bourse de New York, mais il a éveillé les consciences sur la question des iniquités sociales. « On parle encore, même aujourd’hui, du fameux 99 % face au 1 % qui détient les richesses, fait remarquer Carminda Mac Lorin. Ça a mis le doigt sur le fait qu’il y a des inégalités terribles et absurdes. » La trentenaire a depuis fondé l’organisme Katalizo, qui se veut un vecteur d’initiatives citoyennes.

Après un certain nombre d’années, j’ai commencé à remarquer l’effet d’Occupy sur la vie politique. On ne peut plus, au Canada, parler de néolibéralisme comme d’une bonne affaire, il faut se cacher un peu. Et en ce sens, je pense que ç’a été un succès.

Paul Bode, directeur du centre communautaire St Jax au centre-ville de Montréal

« Être passé par Occupons, ou ne pas être passé par Occupons, change quelque chose sur la manière dont on va militer », fait aussi observer Pascale Dufour, qui a copublié un livre sur la question (Street Politics in the Age of Austerity – From the Indignados to Occupy, Amsterdam University Press, 2016).

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Pascale Dufour, professeure de science politique à l’Université de Montréal et spécialiste des mouvements sociaux

À Montréal, les militants d’Occupons se sont joints à de nombreuses autres revendications, comme le mouvement autochtone Idle No More, les grèves étudiantes de 2012, le forum social mondial qui s’est tenu à Montréal en 2016, des associations de défense du droit au logement, de redistribution de nourriture, etc.

« Il ne faut pas sous-estimer le monde qu’Occupons Montréal a mis ensemble et les projets qui en ont émergé, croit Raïs Zaidi. Les trois quarts de ce que je fais aujourd’hui, c’est avec des gens que j’ai rencontrés à Occupons Montréal. Je trouve que ça a donné du courage à plein de monde. »

Une colère planétaire

PHOTO ROBERT STOLARIK, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Affrontement entre des policiers et des militants d’Occupy Wall Street, à Manhattan, le 17 novembre 2011. Des centaines de manifestants du parc Zuccotti tentaient alors de rejoindre la Bourse de New York.

Les campements et revendications d’Occupy Wall Street se sont déployés dans plusieurs villes du Canada et du monde. Retour sur une effervescence planétaire, aux balbutiements des médias sociaux.

Les débuts

Les origines du mouvement Occupy Wall Street sont diverses. Il est d’abord lié au mouvement des Indignés, en Espagne, où des manifestants ont occupé la place de la Puerta del Sol à Madrid à partir de mai 2011. Ce mouvement prend racine dans le chômage, le manque d’avenir pour les jeunes et les effets de la crise financière de 2008. Les Indignés s’inspiraient du manifeste Indignez-vous !, du Français Stéphane Hessel, fervent défenseur des droits de la personne, paru en 2010. Ses partisans suivaient aussi le Printemps arabe de 2011.

L’étincelle qui a enflammé Occupy Wall Street est plus surprenante. Le magazine vancouvérois anticapitaliste Adbuster a publié, en amont des premières manifestations aux États-Unis, une annonce montrant une ballerine dansant sur la fameuse statue de taureau à Wall Street.

IMAGE FOURNIE PAR ADBUSTER

Annonce montrant une ballerine dansant sur la fameuse statue de taureau à Wall Street, publiée par le magazine Adbuster en amont du mouvement Occupy Wall Street

« #occupywallstreet. Le 17 septembre. Apporte une tente », peut-on lire sur l’affiche. « On pensait que quelques centaines de personnes allaient se rassembler, il y en a eu quelques milliers », s’étonne encore Kalle Lasn, fondateur de Adbuster, en entrevue avec La Presse. « L’humeur planétaire était soudainement capturée par ces jeunes rassemblés dans des parcs, qui disaient aux leaders mondiaux qu’ils voulaient un avenir différent », se remémore-t-il.

Aux États-Unis, un virage dans le débat public

Le parc Zuccotti, à New York, a été occupé du 17 septembre jusqu’au 15 novembre 2011. À partir d’octobre, le mouvement s’est étendu à d’autres grandes villes des États-Unis et environ 600 collectivités. « Aux États-Unis, on voit très clairement une différence entre avant et après [Occupy Wall Street]. La question des inégalités s’est invitée dans le débat public et a été reprise par les partis politiques, analyse Pascale Dufour, spécialiste des mouvements sociaux de l’Université de Montréal. C’est l’un des lieux sur la planète où c’est le plus clair », croit-elle.

PHOTO MARCUS YAM, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Un groupe de manifestants d’Occupy Wall Street expulsés du parc Zuccotti se sont réunis sur la place Foley,
à New York, le 15 novembre 2011.

La campagne du démocrate Bernie Sanders en 2016 a été fortement soutenue par les partisans d’Occupy Wall Street. « Le mouvement de Bernie Sanders aurait probablement existé sans Occupy, mais il n’aurait peut-être pas eu l’écho qu’il a eu dans certains milieux militants », estime Pascale Dufour.

En Espagne, naissance d’un parti politique

Le mouvement des Indignés, en Espagne, a donné naissance à un parti politique, Podemos, en 2014. Celui-ci a été créé à partir d’un manifeste intitulé « Prendre les choses en main : convertir l’indignation en changement politique », signé par une trentaine de personnalités publiques. Depuis novembre 2019, Podemos forme un gouvernement de coalition avec le Parti socialiste ouvrier espagnol.

En France, des revendications qui se poursuivent

PHOTO FRANÇOIS GUILLOT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation de gilets jaunes sur les Champs-Élysées, à Paris, le 24 novembre 2018

En France, des manifestations en soutien aux Indignés espagnols sont organisées dès mai 2011. En septembre 2011, la revue Les Zindigné(e)s reprend le nom du mouvement. « En France, des années plus tard, est arrivé Nuit debout [un ensemble de manifestations qui ont eu lieu en 2016 contre la loi du travail] », remarque Pascale Dufour en évoquant un lien avec Occupy Wall Street. Les gilets jaunes (2018), les mouvements actuels pour le climat et l’antiracisme auraient aussi des liens avec Occupy Wall Street, selon certains experts.

Des échos au Canada

PHOTO GEOFF HOWE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Manifestants sur la place de la Galerie d’art de Vancouver, en octobre 2011

À Toronto, près de 3000 personnes se sont rassemblées – et une centaine ont occupé le parc St. James –jusqu’au 23 novembre 2011. Le campement sur la place de la Galerie d’art de Vancouver rassemblait environ 150 tentes. Il a été démantelé le 21 novembre 2011, mais les protestataires ont changé le campement d’endroit à quelques reprises et poursuivi leurs rencontres hebdomadaires jusqu’en 2012. Au Québec, des occupations ont eu lieu notamment à Québec, Sherbrooke, Saguenay et Trois-Rivières.

Cinq dates clés du mouvement

15 mai 2011

Lancement du mouvement Indignados à la place de la Puerta del Sol à Madrid, en Espagne

17 septembre 2011

Première manifestation à New York et début de l’occupation au parc Zuccotti

9 octobre 2011

Le mouvement s’étend partout aux États-Unis 15 octobre 2011 : Journée mondiale du mouvement des Indignés. L’occupation débute à Montréal et ailleurs au Canada.

15 novembre 2011

Le campement du parc Zuccotti est démantelé à New York.

PHOTO ROBERT STOLARIK, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Démantèlement du campement du parc Zuccotti à New York, le 15 novembre 2011

25 novembre 2011

Le campement du square Victoria est démantelé à Montréal.