#MeToo, Dis Son Nom, #AgressionNonDénoncée : les vagues de dénonciation d’agressions à caractère sexuel ont incité les victimes à rapporter leur agresseur. Mais, encore aujourd’hui, porter plainte aux autorités est ardu. Une situation à laquelle a été confrontée Audrey*, qui a affirmé avoir été reçue avec incompréhension et mépris dans un poste du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Audrey s’est séparée de son conjoint violent en juin. Son cauchemar n’était pas encore terminé. Appels, textos, courriels : l’homme qui la contrôlait l’aurait harcelée après leur rupture. Elle s’est rendue au poste de police de son quartier pour aller porter plainte, accompagnée d’une amie.

À la suite de sa déposition, l’ex-conjoint d’Audrey a été accusé de communications harcelantes.

En janvier 2020, il avait été accusé d’agression ou d’infliction de lésions corporelles par suffocation et de séquestration. Il avait aussi été accusé de non-respect de conditions à deux reprises, alors qu’il était soumis à une ordonnance de liberté conditionnelle. Il ne devait pas communiquer avec son ex-conjointe ni se trouver dans un rayon de 200 mètres d’elle.

« De tout ce que je t’ai raconté, aller porter plainte, c’était le plus tough », a déclaré Audrey.

La Presse a rencontré la femme dans un café du secteur Hochelaga-Maisonneuve. Elle a confié son histoire aux côtés de son amie Laurie*, qui l’a accompagnée pour porter plainte contre son ex-conjoint.

Les deux femmes affirment avoir été reçues de façon inadéquate par l’agente à l’accueil de l’édifice du SPVM, le matin du 28 juin dernier. « Avez-vous changé votre numéro de téléphone ? » et « Avez-vous pensé à déménager ? » auraient fait partie des premières questions que la policière leur a posées.

« C’était du mépris, vraiment, on le voyait dans son visage, a déclaré Laurie, profondément marquée par l’évènement. Elle se câlissait de ce qu’on avait à dire. »

10 mois de « pile ou face »

Audrey a rencontré son ex-conjoint au mois d’août 2020. « Ça clique » dès le départ, dit-elle. Mais son bonheur est de courte durée.

Après un mois, son ex-conjoint se serait mis à la critiquer sur son poids, à surveiller ce qu’elle mange et à l’obliger à s’entraîner. Au terme de leur relation de 10 mois, Audrey a perdu 40 livres, raconte-t-elle.

« À la fin, je devais me peser devant lui chaque matin », a-t-elle dit. Son conjoint aurait ensuite commencé à isoler Audrey de son entourage.

Il lui aurait crié des insultes pendant des heures et lui aurait envoyé de nombreux messages vocaux désobligeants. Il lui serait arrivé de lancer des objets lors de ses accès de colère. L’ex-conjoint d’Audrey lui mettait également de la pression pour avoir des relations sexuelles, a-t-elle confié.

Plusieurs fois, elle a tenté de le quitter. Mais « il redevenait le gars que j’avais rencontré au mois d’août », a affirmé Audrey.

Au bout du compte, les journées où son ex-conjoint était adéquat n’en valaient plus la peine. « J’avais l’impression de jouer à une game de pile ou face. Lequel des deux je vais avoir aujourd’hui ? », a-t-elle expliqué.

Le 6 juin, Audrey est partie de chez son conjoint. Toutefois, il l’aurait inondée de courriels, de textos et de messages vocaux, malgré ses demandes répétées de ne plus lui parler. Il se serait créé de nouveaux comptes et aurait contacté ses amies.

Le 12 juin, Audrey s’est présentée une première fois au poste de police afin de « voir ses options », devant le harcèlement incessant. Elle a été bien reçue, mais elle est repartie sans faire de plainte.

Un courriel de trop l’a amenée à retourner au poste de police avec Laurie.

Une intervention jugée inadéquate

La policière « a commencé à nous croire quand je lui ai dit de regarder dans son dossier », a évoqué Audrey. Dans le dossier criminel de son ex-conjoint.

Audrey a fait écouter à la policière un message vocal envoyé par son ex-conjoint. Elle l’a fait entendre à La Presse.

« Quand tu te foutais de ma gueule, pis tu commençais à me dire tu pognes les nerfs. […] Non ça, je m’excuse, mais je pense que je t’aurais frappée si je t’avais eue en avant de moi. Je ne pense pas que tu réalises à quel point tu me mets en criss », disait une voix d’homme en colère.

Ensuite, la policière « a changé son fusil d’épaule. Mais elle n’était pas plus adéquate », a estimé Audrey. « Je pense que ce qui m’a le plus saisie aussi, c’est l’espèce de complicité silencieuse de son partenaire qui était juste à côté », a-t-elle ajouté.

« Ben voyons donc que t’es restée là-dedans », « je ne sais pas comment tu as fait », aurait dit la policière, a expliqué Laurie.

Audrey a dit sans hésitation que sans le soutien de Laurie, elle ne serait pas restée pour terminer la procédure au poste de police. Les deux femmes y sont restées quatre heures.

« Je pense à quelqu’un qui est peut-être venu une demi-heure avant moi, puis qui a sacré son camp sans faire sa plainte », songeait la femme.

« Toute personne qui se sent lésée dans ses interactions avec le SPVM peut porter plainte. Il existe plusieurs mécanismes permettant de le faire. Les plaintes doivent être déposées aux instances officielles pour que le processus puisse suivre son cours », a réagi par courriel la porte-parole du SPVM, Anick de Repentigny.

« Le service aux citoyens est une priorité pour le SPVM, qui vise le professionnalisme et le respect dans le traitement de toutes les situations de violence conjugale qui lui sont rapportées », a-t-elle ajouté.

La directrice de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF), Manon Monastesse, s’explique mal la façon dont Audrey dit avoir été reçue, puisque le SPVM a « tout un protocole d’intervention » en matière de violence conjugale.

« L’intervention policière en matière de violence conjugale au Québec, actuellement, elle est à géométrie variable. Ça dépend de l’organisation et de la volonté du service de police », a-t-elle affirmé. Malgré tout, une bonne proportion des femmes a une expérience « plutôt positive » avec les policiers, selon Mme Monastesse.

Pour la directrice de la FMHF, tout ramène à l’éducation des policiers. « Comme le SPVM, c’est des milliers de policiers à former, il y a beaucoup de roulement, donc ça prend une formation continue », a-t-elle dit.

Comprendre les besoins de la victime

Audrey et Laurie espèrent avant tout une meilleure éducation des policiers. Elles invitent aussi les hommes violents à aller chercher de l’aide.

Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, a déposé le 15 septembre un projet de loi concernant la mise en place d’un tribunal spécialisé par rapport à la violence sexuelle et à la violence conjugale. Une mesure qui pourrait contribuer à offrir une meilleure expérience aux victimes dans le système judiciaire, selon la directrice générale de la clinique juridique Juripop, Sophie Gagnon.

« Quand on parle de tribunal spécialisé […], on fait plutôt référence à un ensemble de mesures qui ont en commun le fait d’être orientées autour des besoins de la personne victime », explique Mme Gagnon.

« Pour que ça fonctionne, ça prend des acteurs qui sont formés aux réalités sociales des violences sexuelles et de la violence conjugale », ajoute-t-elle. Ces personnes incluent notamment les juges et les policiers.

* Prénoms fictifs

Normaliser la demande d’aide

Certains hommes vont chercher de l’aide dès un premier épisode de violence conjugale, alors que d’autres répètent leurs comportements inadéquats auprès de plusieurs conjointes. « Parfois, c’est justement de répéter ce geste-là sur différentes personnes qui leur fait prendre conscience que ce n’est pas l’autre personne, le problème, c’est eux », a expliqué Sabrina Nadeau, directrice générale d’À cœur d’homme, une association regroupant des organismes qui viennent en aide aux hommes violents. Toutefois, Mme Nadeau est optimiste : il est possible pour un homme violent de changer. Et pour cela, la demande d’aide doit être normalisée et systématisée, selon elle.

1797

Nombre d’infractions reliées à des agressions sexuelles répertoriées par le SPVM, en 2020

8,2 %

Diminution du nombre d’agressions sexuelles recensé par le SPVM en 2020 par rapport à 2019

Source : Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)

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