(Québec) L’arrestation d’une employée de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de la Côte-Nord dans une affaire de trafic de cocaïne sème l’émoi dans les communautés innues de la région. Une rencontre au sommet avec les huit chefs innus et la direction du CISSS de la Côte-Nord aura lieu ce vendredi pour calmer les inquiétudes.

« J’étais traumatisé », laisse tomber au bout du fil le chef de Uashat mak Mani-utenam, Mike Mckenzie, témoignant de sa réaction lorsque les autorités ont procédé le 26 mars dernier, à Sept-Îles, à l’arrestation de trois personnes en lien avec du trafic de cocaïne, dont une femme de 24 ans à l’emploi de la DPJ de la Côte-Nord.

La Sûreté du Québec a indiqué que les « présumés trafiquants écoulaient leur marchandise à Sept-Îles et dans la communauté de Uashat mak Mani-utenam ».

« Je crois en la présomption d’innocence, mais c’est un peu comme un pompier pyromane », illustre le chef Mckenzie, encore sous le choc. Il explique que plusieurs familles de la communauté de Uashat mak Mani-utenam, dont le secteur Uashat est contigu à la ville de Sept-Îles, ont manifesté leurs inquiétudes.

Sur la Côte-Nord, la DPJ dessert une importante clientèle innue. Le territoire compte huit communautés sur 1200 kilomètres.

Seulement à Uashat mak Mani-utenam, en 2019, quelque 210 enfants innus avaient un « suivi » avec la protection de la jeunesse. Cela représente 15,3 % des mineurs de la communauté de quelque 4500 âmes.

Cet épisode survient alors que la relation entre les Innus et la DPJ est fragile. À deux reprises l’automne dernier, des dizaines d’entre eux ont protesté contre des interventions de la DPJ. Le Conseil d’Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam (ITUM) a d’ailleurs amorcé des démarches officielles pour s’affranchir de la DPJ.

La Presse avait visité la communauté en novembre.

L’identité de la femme de 24 ans n’a pas été révélée puisqu’elle n’a toujours pas comparu devant les tribunaux. Elle a été libérée et « comparaîtra ultérieurement », a précisé la Sûreté du Québec dans un communiqué. Mais l’histoire s’est rapidement répandue dans la région puisqu’elle a été arrêtée sur les lieux de son travail, à Sept-Îles.

« L’employée a été retirée de ses fonctions pendant la tenue de l’enquête », a confirmé le CISSS de la Côte-Nord, dans une déclaration envoyée par courriel. Elle est suspendue avec solde. « L’embauche de cette employée était conforme et incluait une vérification des antécédents judiciaires », a fait valoir l’établissement.

Au cabinet du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, on explique avoir « été avisé rapidement de la situation » par le CISSS.

L’intervenante en question a été arrêtée pour interrogatoire, mais pour l’instant, aucune accusation n’a été déposée contre elle.

Le cabinet du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant

On assure par ailleurs « qu’elle n’avait aucun dossier et ne représentait aucun risque pour la clientèle desservie » au moment des vérifications faites quand elle a été embauchée.

Rencontre au sommet ce vendredi

Le chef Mike Mckenzie espère « obtenir des réponses » ce vendredi lors d’une rencontre organisée avec les chefs innus de la Côte-Nord et la haute direction de l’établissement de santé. « On espère avoir des éclaircissements sur la situation […] disons que la confiance est effritée entre les Innus et la DPJ », souligne-t-il.

C’est dans ce contexte que la direction du CISSS a « proposé » une rencontre au sommet « pour discuter de certains sujets spécifiques qui ne sont pas abordés dans le cadre des rencontres hebdomadaires entre le CISSS et les chefs » en marge de la gestion de la pandémie de COVID-19.

L’arrestation de l’employée de la DPJ est survenue le lendemain de la publication par Le Devoir d’une enquête sur les conditions d’accueil d’une quarantaine de jeunes Innus hébergés en centre de réadaptation pour jeunes en difficulté, à Baie-Comeau. Des employés ont rapporté des problèmes de surpopulation et de non-scolarisation des adolescents.

Mike Mckenzie a fait valoir ses préoccupations face à ces deux évènements dans une lettre envoyée le 1er avril dernier à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Une copie de cette lettre a par ailleurs été envoyée au ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière.

La CDPDJ avait annoncé le 25 mars le déclenchement d’une enquête de sa propre initiative à la suite des révélations du Devoir pour « vérifier si le droit des jeunes […] a été respecté » dans cette affaire.

Dans sa lettre, ITUM voulait aussi informer la CDPDJ qu’elle travaille à son propre modèle de gouvernance en matière de protection de la jeunesse.

Pour y arriver, le conseil innu réclame que le gouvernement Legault abandonne sa contestation judiciaire de la loi fédérale C-92, qui reconnaît le droit des autochtones à déterminer leurs pratiques en matière de services de protection de l’enfance.

Selon Québec, la loi fédérale – qui est entrée en vigueur partout au pays en janvier 2020 – intervient dans les services sociaux, qui sont de compétence provinciale. « [Le gouvernement] conteste pour une question de compétence, mais il ne semble pas avoir de leçon à nous donner avec [son] système actuel », estime le chef.

On est très préoccupés. Nous, on veut nos propres mécanismes pour nos enfants et nos familles.

Mike Mckenzie, chef de Uashat mak Mani-utenam

Tommy Tremblay, 29 ans, et Samuel Morais, 20 ans, tous deux de Sept-Îles, ont également été arrêtés le 26 mars. Contrairement à la femme de 24 ans, ils ont été accusés deux jours après leur arrestation de possession de drogue en vue d’en faire le trafic, de trafic et de possession de biens infractionnels. Lors de la perquisition, les policiers ont saisi un demi-kilogramme de cocaïne, « beaucoup de matériel relié au trafic de cocaïne » et plus de 250 000 $ en argent.

Deux véhicules automobiles de valeur et une motoneige ont aussi été saisis. Le Service de police de Uashat mak Mani-utenam (SPUM) et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont participé à l’enquête policière. Les accusés ont été remis en liberté sous certaines conditions et doivent retourner devant le tribunal le 21 mai.