Elles étaient sept.

Sept en moins de sept semaines dont il faut parler à l’imparfait.

Sept à être victimes d’un féminicide. À laisser derrière elles des enfants qu’elles ne verront jamais grandir, des proches inconsolables et cette terrible question : comment se fait-il qu’en 2021, au Québec, dans une des sociétés les plus égalitaires du monde, où les filles peuvent rêver d’être première ministre et d’aller sur Mars, des femmes meurent encore ainsi ?

Elles étaient sept.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Rebekah Harry, 29 ans, est morte après avoir été rouée de coups par son conjoint samedi matin dans l’arrondissement de LaSalle. Ce féminicide est le septième à survenir au Québec depuis le début du mois de février.

Sept dont la fin tragique a suscité l’indignation. Sept devant qui trop de femmes se sont dit : cela aurait pu être moi.

Elles s’appelaient Elisapee Angma, Marly Édouard, Nancy Roy, Myriam Dallaire, Sylvie Bisson, Nadège Jolicœur, Rebekah Harry.

Elles avaient des rêves. Une vie devant elles. Elles sont mortes dans une société qui n’a pas su leur offrir le droit à une vie sans violence, libre et digne. Qui n’a pas pu leur offrir un monde où être femme n’est pas un risque. Qui n’a pas pu les protéger même si, dans certains cas, les voyants étaient au rouge.

Elles étaient sept. Et nous ne sommes qu’en mars.

En temps « normal », bon an, mal an, on compte une douzaine de meurtres conjugaux au Québec. Comme un attentat de Polytechnique chaque année, ce qui est déjà insoutenable.

En ces temps anormaux, où le confinement aggrave ce qui était déjà grave et retient chez elles des femmes pour qui la maison est le lieu le plus dangereux qui soit, tout indique que le bilan sera plus funeste encore. Alors que le printemps vient juste d’arriver, nombreuses sont celles qui craignent une autre saison en enfer.

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Certains croient qu’il n’y a pas grand-chose à faire, du moins pas à court terme. On se dit qu’il est impossible d’éradiquer des comportements de domination vieux comme le monde. On se dit que la seule mesure qui vaille est à long terme : la prévention et l’éducation à l’égalité dès le plus jeune âge.

Je n’adhère pas à cette vision fataliste. Oui, bien sûr, éduquons nos garçons autrement. Apprenons-leur qu’un homme qui aime une femme l’aime libre. Abordons de front la masculinité toxique. Les gars, parlez-vous. Entendez le message du premier ministre : non, il n’y a rien de viril à frapper une femme. Rappelez-vous que la violence conjugale ne commence pas avec des coups et ne s’y limite pas. Que ce n’est pas une « perte de contrôle », mais bien une volonté malsaine de dominer, d’affirmer son pouvoir. Répétez-le à vos amis, vos fils, vos frères, vos élèves.

Tout ça est essentiel. Mais il y a aussi une foule de mesures tout aussi urgentes que l’on peut mettre en place dès aujourd’hui pour assurer la sécurité des femmes. Des mesures qui peuvent sauver des vies.

Les solutions sont connues. Depuis 35 ans, on croule sous les plans d’action. Et pourtant, en dépit de certaines avancées, la mise sur pied de recommandations urgentes reste trop souvent d’une lenteur qui tue.

J’en parlais le 8 mars. Mais il faut surtout en parler le 9, le 10, le 11 et tous les autres jours de l’année, pas juste après des féminicides.

> (RE)LISEZ le dossier « Pour en finir avec les féminicides »

C’est le constat que l’on fait dans le rapport Rebâtir la confiance du comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, présidé par l’ex-juge en chef de la Cour du Québec Élizabeth Corte et la professeure à la faculté de droit de l’Université Laval Julie Desrosiers.

Leurs recommandations ne sont, pour la plupart, pas nouvelles. Mais elles ne se sont jamais concrétisées ou n’ont été implantées que partiellement.

Pourquoi ? Parce que la lutte contre les violences faites aux femmes relève de plusieurs ministères, qui travaillent en vase clos sans réel chef d’orchestre.

« Le Secrétariat à la condition féminine fait bien ce qu’il a à faire et ce qu’il peut faire », note Élizabeth Corte. Mais il n’a pas le pouvoir de mettre quiconque au pas.

Élizabeth Corte me cite l’exemple des cellules de crise visant à prévenir les homicides ou les blessures graves en contexte de violence conjugale. « Ça fait combien de temps que l’on en parle, des cellules de crise ? Plusieurs années ! Certaines régions en ont. Ce n’est pas compliqué. Qu’y a-t-il de compliqué à dire : on nomme un coordonnateur de cellule de crise par région ? Des gens sur le terrain sont prêts à faire le travail. Mais on dirait que tout est trop long. On reste toujours au niveau des intentions, des mesures annoncées. »

D’où cette recommandation centrale formulée dans son rapport et mise de l’avant par la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé : il faut absolument nommer une personne responsable de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Une personne qui, si elle relève du ministère du Conseil exécutif, aurait l’autorité nécessaire pour coordonner la mise en œuvre des plans d’action et rendre des comptes au plus haut niveau de l’organisation gouvernementale.

Il ne s’agirait pas d’une structure de plus dans un appareil gouvernemental qui souffre déjà de « structurite ». Mais plutôt d’une autorité qui aurait le pouvoir de dire : « Comment se fait-il que cette recommandation “urgente” ne soit toujours pas en place ? Les cellules de crise, vous allez régler ça immédiatement, partout au Québec. C’est urgent. »

Le gouvernement Legault, qui n’est pas contre cette recommandation, a promis de s’atteler à la tâche et d’attribuer non seulement les fonds, mais aussi le pouvoir décisionnel nécessaires pour en faire une priorité nationale. On prévoit sous peu une annonce à cet effet.

Pour les sept femmes assassinées depuis deux mois, il est déjà trop tard. Mais la moindre des choses serait que l’on s’assure qu’elles ne soient pas mortes en vain.

Besoin d’aide ?

Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez appeler SOS violence conjugale au 1 800 363-9010 (ligne sans frais 24/7)

> Consultez le site de SOS violence conjugale