La famille, d’anciens collègues de travail ainsi que des experts en santé publique fustigent de concert la manière « inhumaine » dont l’Université de Montréal (UdeM) a géré le dossier d’un ex-professeur de l’établissement qui est mort il y a quelques jours d’une maladie liée à l’amiante.

Jean Renaud est mort vendredi à l’âge de 74 ans des suites d’un mésothéliome, huit mois après que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a conclu qu’il avait développé cette forme rare de cancer en raison d’une exposition au produit toxique survenue en milieu professionnel.

La direction de l’UdeM avait présenté en novembre une demande de révision en arguant qu’un délai additionnel était requis pour obtenir et étudier tous les documents pertinents du dossier, bloquant du coup sa résolution définitive, et le versement d’une indemnisation conséquente, alors que la santé du professeur périclitait.

La porte-parole de l’UdeM, Genevière O’Meara, a indiqué lundi que la direction de l’établissement avait demandé la révision parce qu’elle jugeait qu’il était de sa responsabilité d’aller « au fond des choses ».

Elle a assuré que l’UdeM traitait la situation « avec toute l’empathie, la rigueur et la diligence qu’elle demande », une affirmation qui est loin de faire consensus.

« Je trouve honnêtement que leur approche est scandaleuse », a souligné lundi la fille du défunt, Julie Mayer-Renaud, qui reproche à l’université d’agir en fonction de ses intérêts financiers et de chercher à se protéger de futures demandes d’indemnisation plutôt que de donner la priorité au bien-être de ses ex-employés.

« Quand on est fatigué à cause de la maladie, avoir à s’engager dans une bataille juridique avec son ex-employeur est stressant et constitue un poids de plus à porter. Ce n’est pas tout le monde qui peut mener un combat dans cet état », relève Mme Mayer-Renaud, qui entend mener à terme avec sa mère les démarches entreprises devant la CNESST par son père.

Mme Mayer-Renaud souligne que l’ex-professeur – qui a fustigé une dernière fois la « maudite amiante » en présence de ses proches peu de temps avant de mourir – voulait s’assurer que d’autres victimes de l’amiante à l’UdeM « puissent éventuellement bénéficier de son combat ».

« J’aimerais qu’il puisse y avoir une résolution rapide pour que mon père puisse reposer en paix et pour que la voie de l’indemnisation soit plus facile à l’avenir pour ceux qui suivront. Ce serait plus humain », dit-elle.

La présidente du Syndicat des professeurs de l’UdeM, Audrey Laplante, a indiqué lundi que son organisation « ne s’explique pas » pourquoi la haute direction de l’établissement « refuse de prendre ses responsabilités » et de verser une indemnisation conséquente dans le dossier de M. Renaud.

« Ça nous a choqués. J’ai rencontré le recteur [Daniel Jutras] à ce sujet-là et je lui ai demandé de considérer l’aspect humain derrière la question », relève Mme Laplante, qui dit être régulièrement questionnée par des professeurs inquiets de la manière dont l’amiante est géré à l’UdeM.

Dans une lettre transmise à M. Jutras en janvier, les membres du département de sociologie, où enseignait M. Renaud, ont exprimé leur « indignation face à l’inertie de l’institution dans le dossier de l’exposition à l’amiante » et demandé, finalement en vain, que leur ex-collègue soit indemnisé « de son vivant ».

Norman King, épidémiologiste d’expérience qui a recueilli avec des collègues les signatures de dizaines d’experts pour dénoncer l’approche de l’UdeM, ne comprend pas comment un établissement voué à la transmission des connaissances scientifiques « peut se braquer dans un cas aussi clair » que celui de M. Renaud.

« Il est rare qu’on voie une maladie professionnelle avec une cause aussi évidente », souligne M. King, qui presse l’UdeM de clore le dossier en acceptant de verser une indemnisation conséquente à la famille.

Un autre cas en suspens

Une demande de révision a aussi été déposée par l’Université de Montréal dans le dossier d’Yves Charland, ex-informaticien de l’établissement mort en novembre 2019, quelques semaines après avoir reçu un diagnostic de mésothéliome. La conjointe du défunt, Normande Corbin, a indiqué lundi dans un courriel qu’elle entendait poursuivre la bataille. « Pour la suite des choses, l’UdeM veut étirer la sauce. Mais je ne vais pas abandonner quoi que ce soit pour Yves et pour Jean Renaud », a-t-elle indiqué dans un courriel. Une troisième ex-employée de l’université souffrant de mésothéliome, Sandra Ohayon, a vu sa demande rejetée par la CNESST il y a plusieurs années, mais a obtenu une somme substantielle de fonds américains créés par des firmes ayant vendu par le passé des produits à base d’amiante au Canada.