Dimanche, Dany Turcotte a donc expliqué sa vérité, les raisons de son départ de Tout le monde en parle : il en avait assez de toutes les bêtises qu’il recevait sur les médias sociaux.

Turcotte, un homme bon, en a eu assez de la méchanceté qui déborde parfois sur la haine. Il s’est demandé, chez Guy A. : faudrait-il donner des cours de médias sociaux aux enfants ?

Bonne question, Dany…

J’appuie sur Rewind, ici. Je veux juste dire que cette méchanceté ambiante n’a rien de neuf. Quand j’ai commencé à bloguer chez Québecor, fin 2005, il était encore possible de discuter, dans la section commentaires…

Ça n’a duré que quelques mois. À mesure que les blogues devenaient populaires, ils attiraient plus de monde… Donc, plus de commentateurs quérulents, chicaniers, monomaniaques, paranoïaques, enculeurs de mouches, tritureux de virgules et autres haineux maladifs qui rendent toute discussion impossible…

Comme Facebook, comme Twitter en 2021.

Alors, on fait quoi ?

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« Comment réguler la parole sur les médias sociaux ? Réponse plate : on n’y arrivera pas », croit Patrick Lagacé.

Je vois des gens qui souhaitent une sorte de police du web, qui distribuerait des amendes aux insolents, aux insulteurs et autres hargneux incapables de discuter sans gros mots.

Sauf que ça existe déjà !

En 2019, la Ville de Sherbrooke s’est dotée d’un règlement qui sanctionne les injures faites aux élus municipaux, avec amendes de 150 $ à 1000 $ à la clé…

Petit hic : qu’est-ce qui constitue une insulte ?

Est-ce que la phrase « Vous êtes un kamikaze en mal de publicité » constitue, selon vous, une insulte ?

Pour le conseiller municipal Pierre Tremblay, oui, c’était ça : une insulte. Il a donc porté plainte contre l’employé politique d’une conseillère municipale qui l’avait traité de kamikaze en mal de publicité sur Facebook…

Et la plainte a été retenue. Claude Dostie a donc reçu une contravention de 160 $.

Il l’a contestée, il a fini par gagner devant le tribunal1, mais l’affaire a monopolisé des heures de talent juridique d’un procureur de la Couronne, d’un avocat de la défense et d’un juge… Tout ça pour le mot « kamikaze ».

Dites-moi que ce n’est pas un tout petit peu absurde…

Vous imaginez, à la grandeur du Québec ? Vous imaginez les litres de salive qu’on va gaspiller dans les tribunaux si on commence à sanctionner la parole injurieuse qui sévit dans les médias sociaux ? On va finir avec un ministère voué au contrôle des réseaux sociaux, doté d’un budget annuel équivalent à celui des nids-de-poule.

Dany Turcotte a nommé un problème, celui de l’incivilité sur les médias sociaux. C’est un problème qui n’est pas sans conséquence. Alors, collectivement, on cherche une solution – que faire, comment juguler ce mal qui ne touche évidemment pas que des gens connus… ?

Je vais oser une réponse bien, bien plate : il n’y a pas de solution.

Enfin, si, il y en a une. Mais elle ne réside pas dans la judiciarisation des paroles détestables et des injures ordinaires. Ni dans l’éducation. Ni même dans l’espoir que les plateformes jouent aux préfets de discipline, puisque les Facebook et Twitter vivent des minutes qu’on leur donne, qu’importe que ces minutes soient passées à commenter une photo de chat ou à traiter un voisin de nazi…

Ma solution réside dans le désinvestissement. Se désinvestir des médias sociaux.

Prenez Twitter : j’ai eu un fun noir sur Twitter pendant des années. Twitter m’a permis de découvrir des articles, des idées, des gens que je n’aurais pas découverts autrement que par cette plateforme qui nous permet d’installer un robinet sur une intelligence collective…

Ces derniers temps, je n’avais plus de fun. Je découvrais encore des perles, mais au milieu d’un champ de merde composé de haine pure et simple, de petite critique malsaine, de contradicteurs monomaniaques, de débats sans fin sur des bêtises et de critiques légitimes qui tapent sur les nerfs parce qu’elles t’arrivent dans la gueule après 67 commentaires débiles de stupidité…

Même si j’ai une carapace épaisse, au 68e commentaire emmerdant de la journée, j’étais tenté de répondre et de me lancer dans un débat sans fin sur Twitter. J’étais, malgré tout, investi dans cette plateforme.

Alors je me suis désinvesti de Twitter : je me suis créé un compte anonyme, qui ne me sert qu’à me documenter. J’ai cessé de nourrir mon compte officiel, que je vais visiter de moins en moins parce qu’il m’apporte de moins en moins.

Ça fait quelques jours et…

Et je pense que c’est bon pour ma quiétude mentale.

Alors, comment réguler la parole sur les médias sociaux ? Réponse plate : on n’y arrivera pas. On a créé des plateformes où tout le monde peut dire n’importe quoi à n’importe qui n’importe comment. C’est à la fois formidable et affligeant, parfois dans la même seconde.

Je suggère le désinvestissement, si vous le pouvez.

Pour moi, dans le cas des réseaux sociaux, la question est ailleurs…

Pourquoi s’investit-on à ce point dans ces plateformes, au fond ?

1. « Utilisation du mot “kamikaze” : le chef de cabinet de Beaudin non coupable », La Tribune, 18 février 2021