Lysa-Marie joggait dans le parc Jarry. Sa première course depuis un accident de vélo qui lui a valu un traumatisme crânien. Étudiante au doctorat en psychologie clinique, la jeune femme qui est à l’origine du très beau projet Humain Avant Tout était en train de se dire, à contrecœur, qu’il lui fallait peut-être, faute de temps, renoncer à ce projet bénévole lancé il y a deux ans.

Et là, près de l’étang, elle a reconnu Marie Anne, une participante d’Humain Avant Tout. Rayonnante, ses longs cheveux blonds au vent, elle pointait un saule. À ses côtés, un homme qui portait un nouveau-né, emmailloté contre sa poitrine.

« Marie Anne ? !…

— Lysa-Marie ? !… »

Leurs visages se sont illuminés.

Le temps s’est arrêté.

« Oh ! Mon Dieu ! Je ne peux pas croire qu’on se croise ! Je viens d’accoucher, ça fait trois semaines ! », a dit Marie Anne.

Émue, elle s’est tournée vers sa mère à qui elle venait justement de parler de Lysa-Marie Hontoy avant qu’elle n’apparaisse sous ses yeux. « Maman ! C’est elle, la fondatrice d’Humain Avant Tout. C’est grâce à elle qu’on s’est rencontrés, Francis et moi, et qu’Aube est là aujourd’hui ! »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Lysa-Marie Hontoy, fondatrice du projet Humain Avant Tout, avec Marie Anne Cooper, Francis Henri-Magnan et leur fille Aube, 3 mois.

* * *

Marie Anne avait 19 ans lorsqu’elle a perdu son ex-copain, mort par suicide. Il y a un peu plus d’un an, sous ce même saule qu’elle venait de montrer à sa mère, elle avait raconté à Lysa-Marie son histoire pour qu’elle soit publiée sur le site Humain Avant Tout – un superbe projet, dont j’ai déjà parlé l’an dernier, que la pandémie a rendu plus pertinent que jamais. Née du choc provoqué par un suicide dans son entourage, l’initiative de Lysa-Marie a pour but de lever le tabou entourant la santé mentale et de remettre au premier plan ce mot qui commence par e : espoir.

Il y a un peu plus d’un an, donc, assise sous un saule, Marie Anne, 25 ans, a raconté à Lysa-Marie comment elle était tombée, comme elle s’était relevée. La détresse dans laquelle l’avait plongée le suicide de son amour de jeunesse, peu de temps après leur rupture. La grosse carapace sous laquelle elle avait camouflé sa douleur. Son épuisement à force de porter ce masque de fille qui va bien alors qu’elle allait très mal, qu’il n’y avait plus d’étincelle au fond d’elle, qu’elle s’était coupée de toute émotion. Jusqu’à ce qu’elle accepte de demander de l’aide et de consulter une psychologue.

Quelque temps après la publication du témoignage, Marie Anne a reçu un message de Francis. Un homme qu’elle ne connaissait pas qui lui disait à quel point son histoire faisait écho à la sienne. Des deuils différents, mais une douleur semblable. De fil en aiguille, elle a compris que la vie de Francis et celle de son ex s’étaient effondrées après la perte d’un bébé, à 38 semaines de grossesse.

« Le témoignage de Marie Anne est venu me chercher et m’a vraiment fait du bien », se rappelle Francis. Il est pompier. Il a 31 ans. Comme Marie Anne, il avait revêtu une grosse carapace pour traverser son deuil. Il faisait semblant de bien aller. « Je voulais être fort. Être solide sur mes jambes. C’est mon rôle de pompier qui embarquait. J’avais toujours réussi à régler les situations par moi-même, je me disais que je savais comment faire. Mais là, pour la première fois de ma vie, on dirait que je ne savais pas comment faire. Et je m’entêtais à me dire que j’allais être capable par moi-même, même si je n’avais pas les outils nécessaires ».

Il a mis beaucoup de temps à accepter qu’il devait aller chercher de l’aide, à travers son programme d’aide aux employés et l’organisme Parents orphelins.

Surtout les papas et les hommes… On a tendance à mettre ça caché dans notre cœur. Une petite case dans notre cerveau. Au fil du temps, ça finit par moisir.

Francis Henri-Magnan

Ils se sont beaucoup écrit, Marie Anne et lui. Elle a fini par proposer qu’ils se rencontrent. Ils sont tombés amoureux. Le 24 juillet dernier, Marie Anne a donné naissance à leur fille, Aube. Un prénom pour rappeler que même après les nuits les plus noires, l’aube revient.

« C’est un bébé “Humain Avant Tout” ! », a lancé Marie Anne à Lysa-Marie le jour où elle a croisé les nouveaux parents complètement par hasard dans ce parc loin de chez eux – ils habitent Saint-Lin, dans les Laurentides.

Lysa-Marie en a eu des frissons. Ses yeux se sont embués en voyant l’adorable Aube qui dormait paisiblement dans le porte-bébé.

PHOTO FOURNIE PAR LYSA-MARIE HONTOY

Lysa-Marie Hontoy, étudiante au doctorat en psychologie clinique à l’Université de Montréal, le jour où elle a rencontré par hasard Marie Anne, Francis et leur fille Aube. Cette photo est devenue son fond d’écran.

En quittant le parc ce jour-là, Lysa-Marie avait l’impression de flotter. Cinq minutes plus tard, une passante l’a arrêtée.

« Excuse-moi de te déranger… Est-ce que c’est toi qui as fondé Humain Avant Tout ?

— Euh… oui.

— Je voulais juste te dire que les témoignages m’aident tellement. Ça me fait tellement du bien de ne pas me sentir seule. »

Lysa-Marie a fondu en larmes. Elle a raconté à la passante, dont les yeux se sont vite embués aussi, sa rencontre avec Marie Anne et Francis. Elle qui se demandait le matin même si elle allait poursuivre le projet, elle avait l’impression que la réponse lui était dictée par le destin. Comme si on lui soufflait à l’oreille les mots d’Éluard : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. »

C’est Aube qui aurait le dernier mot. Il fallait continuer.

* * *

Deux mois plus tard, Lysa-Marie est encore émue en me racontant cette histoire lumineuse qui donne tout son sens aux heures qu’elle consacre bénévolement à l’initiative Humain Avant Tout.

Elle savait, de par l’avalanche de témoignages suscités par son projet, qu’il avait le pouvoir de changer des vies. Elle savait qu’il avait brisé la solitude de bien des gens et leur avait donné la force d’aller chercher de l’aide. Elle savait qu’il avait parfois même sauvé des vies – des personnes lui ont confié que la lecture des témoignages les avait empêchées de faire une tentative de suicide.

Mais jamais je n’aurais cru qu’Humain Avant Tout allait faire des petits – littéralement !

Lysa-Marie Hontoy, fondatrice de l'initiative Humain Avant Tout

Lysa-Marie ne compte pas en rester là. L’idée de transposer son projet à la télé pour rejoindre encore plus de gens – un projet qui tomberait à point alors que la pandémie entraîne une inquiétante épidémie de détresse – est en train de faire son chemin. Une fois son doctorat terminé, elle rêve aussi de mettre sur pied une clinique Humain Avant Tout qui, un peu comme le fait la clinique Juripop en matière d’accès à la justice, donnerait un accès à tarif réduit à des services en psychologie.

Car c’est une chose qui l’a frappée au fil des témoignages recueillis : trop de gens, après avoir trouvé la force de demander de l’aide, se heurtent à un mur en matière d’accès aux soins de santé psychologique – un grave problème que la pandémie n’a fait qu’accentuer.

Alors on fait quoi ? Parler de santé mentale, c’est important, mais ça ne suffit évidemment pas, observe Lysa-Marie. « C’est indéniable qu’il faut agir en matière d’accessibilité aux soins en santé mentale. Il doit y avoir une réelle volonté politique de faire de la santé mentale une priorité. »

En attendant, Lysa-Marie a fait de la photo de sa rencontre impromptue avec Marie Anne, Francis et leur bébé son fond d’écran. Un fonds d’espoir, aussi, pour traverser la pandémie. Pour s’accrocher à l’histoire d’Aube et à tout ce qu’il reste de beau.

Si vous ou un membre de votre famille avez des idées suicidaires, êtes en détresse ou endeuillés, vous pouvez appeler en tout temps au 1866 277-3553 (1 866 APPELLE) ou consulter ce site : https://suicideactionmontreal.org/