(Ogunquit) « Oh ! Il y a longtemps que je n’avais pas entendu un accent français ! » La dame qui s’occupe du stationnement à l’entrée de Perkins Cove a affiché un large sourire en nous remettant la monnaie. « Ça fait changement de l’accent de New York. Mon Dieu oui, on l’a beaucoup entendu cet été, l’accent de New York. »

Si beaucoup de Québécois se sont ennuyés du Maine cet été, est-ce que l’inverse est aussi vrai ? Évidemment, diront tous ceux qui travaillent dans les zones touristiques du sud de l’État. Mais si elle craignait une catastrophe en début de saison, l’industrie touristique du Maine ne s’en est, somme toute, pas si mal tirée cet été.

Les mois de mai et de juin ont été plutôt maigres. À partir de juillet, le relâchement des restrictions sanitaires concernant les visiteurs des États voisins a permis aux touristes en manque d’air salin de séjourner sur la côte.

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Jack Gordon, capitaine du voilier Silverlining offre des croisières depuis le petit port de Perkins Cove.

Comme on dit ici : on n’a jamais eu un mauvais été à Ogunquit. Même quand la météo est mauvaise, les gens viennent de toute façon.

Jack Gordon, capitaine du voilier Silverlining, qui vit à Perkins Cove

Le Maine a pris des mesures très fermes pour contrer la pandémie et protéger sa population en moyenne plus âgée que chez ses voisins. En date du 7 octobre, la COVID-19 avait emporté 142 résidants du Maine depuis le début de la pandémie, ce qui en fait l’un des États les moins touchés du pays. « La gouverneure Janet Mills a fait un bon travail, dit Scott Fortin, propriétaire du gîte Bourne B & B à Ogunquit. Mais plusieurs entrepreneurs ici lui reprochent la quarantaine imposée aux gens du Massachusetts. »

En début d’été, le Maine a en effet permis aux résidants du Vermont et du New Hampshire, puis du New Jersey, du Connecticut et de l’État de New York, de séjourner au Maine sans avoir à faire de quarantaine. Mais pas à ceux du Rhode Island ni du Massachusetts (donc, de Boston), qui habitent pourtant, pour ainsi dire, la porte d’à côté. Le bilan de la COVID-19 au Massachusetts est l’un des pires aux États-Unis : plus de 9500 morts ont été répertoriés en date du 7 octobre.

De nouveaux visages

« C’est vrai, l’accent français nous a manqué cet été, dit l’hôtelier Scott Fortin. Tout le monde ici l’a remarqué, on n’entendait plus parler français sur [le sentier pédestre côtier] Marginal Way, ou sur la plage. Vous savez, l’accent français fait aussi partie du charme d’Ogunquit. »

À la place des accents canadiens ou de Boston, d’autres sonorités se sont fait entendre au bord de l’océan. À Ogunquit, tout le monde a remarqué le débarquement des touristes new-yorkais aisés, qui n’ont pas lésiné sur la dépense…

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Scott Fortin, propriétaire du gîte Bourne Bed and Breakfast, Ogunquit

C’était probablement des gens qui, avant, allaient dans le sud du pays, en Floride, par exemple. Ils ne préféraient peut-être pas y aller cette année en raison des éclosions.

Scott Fortin, propriétaire du gîte Bourne Bed and Breakfast à Ogunquit

« Et tout le monde voulait un tour en bateau ! » Jack Gordon n’a pas manqué de passagers sur son voilier. Le nombre maximal normal de six passagers permet de toute façon assez de distanciation pour que ses clients puissent enlever leur couvre-visage, une fois au large, et oublier pendant deux heures la pandémie. À Ogunquit, le port du masque est obligatoire partout, à l’intérieur comme à l’extérieur.

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Le village portuaire de Perkins Cove, près d’Ogunquit, a lui aussi imposé le port obligatoire du couvre-visage.

Le taux d’occupation dans les hôtels du Maine est passé de 28 % en juin à 38 % en juillet, puis à 67 % à la mi-août, selon la firme STR, qui compile ce genre de données pour le domaine hôtelier. Les revenus des hôtels, selon les chiffres de l’État, étaient néanmoins en baisse de 40 % en juillet. « Il y a eu beaucoup de monde, même si personne n’était complet, dit le capitaine Jack Gordon. Mais tout le monde a eu un bon été. »

À Ogunquit, sans aucun doute. À notre passage à la mi-septembre, Main Street bourdonnait encore en soirée de visiteurs masqués et disciplinés qui évitaient de se frôler en se croisant. Plusieurs évènements sont toujours à l’horaire ce mois-ci pour fêter l’automne et l’Halloween.

Réalité différente

Mais quelques kilomètres au nord, la situation est bien différente. À Old Orchard Beach, plusieurs motels de la Grand Avenue étaient déjà fermés en septembre. C’est le cas du motel Beau Rivage.

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Tong Zheng, propriétaire du motel Beau Rivage, à Old Orchard Beach, depuis 2017

Cette année, nous n’avons que 30 % de l’achalandage que nous avons habituellement.

Tong Zheng, propriétaire du motel Beau Rivage, à Old Orchard Beach

Les touristes absents de 2020 reviendront-ils l’an prochain ? Tong Zheng, chez qui la clientèle québécoise compte pour 60 %, l’espère vivement. Le directeur de l’Office de tourisme du Maine, Tony Cameron, a d’ailleurs évoqué ces craintes dans une entrevue au Portland Press Herald à la fin de septembre. « Notre inquiétude est que les gens qui viennent traditionnellement au Maine ont peut-être découvert une autre destination cette année. Espérons que nous ne les perdrons pas… »

Comment entrer au Maine quand on arrive du Québec

« Mais… comment avez-vous fait pour arriver jusqu’ici ? La frontière n’est-elle pas fermée ? » La surprise d’entendre un accent français au Maine est presque systématiquement suivie de cette question. Comment peut-on entrer au Maine à partir du Québec ? La réponse courte : ce n’est pas possible. La réponse longue : ce n’est pas possible, à moins de démontrer qu’on s’y rend pour un « voyage essentiel ». C’est le cas du travail des médias, qui figurent dans la liste des exceptions adoptées par le Canada et les États-Unis pour restreindre le passage à la frontière. Il faut néanmoins présenter des preuves du reportage qu’on compte y produire, et se conformer aux règles sanitaires de l’État où l’on se rend – en arrivant au Maine, les visiteurs canadiens doivent se mettre en quarantaine pendant 14 jours ou présenter un résultat de test négatif effectué dans les 72 heures qui précèdent l’arrivée. De plus, comme la frontière terrestre est fermée même aux journalistes, il faut entrer aux États-Unis par voie aérienne. Pour nous rendre dans le Maine, nous avons donc pris l’avion de Montréal à Boston.