Les enquêteurs Bombardier et Jones ont enfin pu interroger René Dupont après que celui-ci s’est pratiquement livré à eux en donnant un rendez-vous maladroit à la police. Dupont était prêt à passer aux aveux lorsque l’interrogatoire a pris fin abruptement : on venait de retrouver Louise Dumas-Beaudoin, pendue. Cette nouvelle mort dans le groupe des jurés pouvait-elle vraiment être un suicide ?

La Dre Louise Dumas-Beaudoin s’était portée volontaire pour aider dans les CHSLD. Le Ministère l’avait affectée à Pointe-Claire. Dans un foyer d’éclosions, déserté par tous les employés. « En zone de déshumanisation », disait-elle.

Le matin du 10 avril, c’est elle qui a déserté les lieux. Du moins, c’est ce qu’a pensé la directrice du centre. Elle a texté la médecin trois fois. Sans réponse. L’a appelée. Lui a laissé deux messages. Sans réponse non plus. En début d’après-midi, elle a joint le contact d’urgence de Louise. Sa vieille mère, Yvonne. C’est elle qui a découvert sa fille. Morte. Pendue dans son walk-in. Au-dessus de ses quatre chats.

Meurtre ou suicide ?

Angele Jones et Baptiste Bombardier n’ont rien exclu. Ils allaient attendre le rapport d’autopsie. Ils ont aussi pris soin de demander un test d’ADN. Au cas où…

BB a fait le tour de la maison. Il a noté que le frigo était plein. Le lave-vaisselle aussi. Dans la salle de bains, il y avait deux brosses à dents. Les deux avaient servi récemment. Dans la pharmacie, il y avait aussi un rasoir pour homme. Étrange pour une célibataire endurcie, remarqua-t-il.

Quelqu’un d’autre venait de passer la semaine ici.

René Dupont ?

L’inspecteur en était convaincu. Il a désiré valider son hypothèse. Pas demain. Maintenant. Il a pressé Jones de retourner au 35 pour reprendre l’interrogatoire de René Dupont.

« Il nous cache quelque chose. »

Un agent a installé René Dupont dans la salle d’interrogatoire. Angele Jones et Baptiste Bombardier sont venus le rejoindre, cinq minutes plus tard. Dupont s’est levé pour leur serrer la main. Machinalement. Il se considérait comme l’un des leurs, depuis qu’il était passé aux aveux.

Jones lui fit signe d’arrêter.

« Deux mètres de distance, M. Dupont. »

Bombardier, lui, accepta la poignée de main. Il serra fort. Très fort. Très, très fort.

« On revient de chez ton amie. La doctoresse. Elle est morte. »

BB continuait d’écraser la main de Dupont, qui essayait de soutenir le regard du policier malgré tout.

« Pis mon instinct me dit que tu étais avec elle depuis 10 jours. Alors là, écoute-moi bien. Je vais lâcher ta main. Tu vas te rasseoir. Et tu vas nous raconter en détail tout ce que tu as fait depuis 10 jours. Deal ? »

Dupont a timidement fait oui de la tête. BB a relâché la pression. Jones a laissé Dupont aller se rasseoir et a poursuivi avec sa voix calme et rassurante.

« Monsieur Dupont, où étiez-vous le soir du meurtre ?

– À 16 h 30, je suis allé acheter des pâtes. Chez Milano, sur Saint-Laurent. Si vous ne me croyez pas, vérifiez les vidéos de surveillance de l’épicerie, vous allez me voir. En revenant, j’ai marché sur Mozart. Clark. Beaumont. Puis sur Saint-Urbain, j’ai vu deux personnes louches devant chez moi.

– Deux hommes ?

– Difficile à dire. Ils portaient des masques. J’ai eu la chienne. J’ai fait demi-tour.

– Pourquoi aviez-vous peur ?

– Chez Elephant AI, ça s’est mal fini. J’ai reçu des menaces. De Hristo, un gars que j’ai congédié. De mes boss aussi.

– Parce que vous êtes parti avec le code de leur application ?

– Oui, c’est ça. Il y a aussi des conspirationnistes qui ont publié mon adresse sur Facebook. Ceux-là, ce sont les pires. De méchants fêlés. Il y en a même une qui a montré mes segments Strava dans une vidéo sur YouTube. Ce matin-là, Julie avait elle aussi reçu des menaces. Tout ça pour dire que j’ai fait demi-tour et je suis allé marcher dans le quartier. Pendant deux heures.

– Des témoins de votre marche ?

– Je ne pense pas. Il faisait déjà noir. Quand je suis revenu chez moi, il y avait cinq voitures de police, le cordon de sécurité, toute la patente. J’ai pensé que les deux hommes, c’étaient des policiers venus m’arrêter pour le vol de l’application.

– Qu’avez-vous fait ensuite ?

– Je me suis enfui. J’ai d’abord pensé aller chez Julie. Mais son chum me déteste. C’est sûr qu’il m’aurait balancé. Mes parents ? Vous m’auriez retrouvé tout de suite. Alors je suis allé chez Louise… »

Baptiste Bombardier – silencieux – cherchait la faille. L’erreur. La contradiction dans le récit de René Dupont. Mais il ne trouvait rien. Peut-être le jeune homme disait-il la vérité. Quoiqu’il avait eu 10 jours pour parfaire son histoire.

BB a pris le relais de Jones.

« Pourquoi es-tu allé chez Louise ?

– Parce qu’elle habitait proche. À Outremont. À deux kilomètres de chez moi. Je savais aussi qu’elle m’accueillerait, sans poser de questions.

– C’est ta maîtresse ?

– Non. Oui.

– Oui ou non ?

– C’est compliqué. Avant le meurtre, non. Mais je savais qu’elle me désirait. Elle était toujours la première à aimer mes statuts sur Instagram. Sur Facebook. Sur Strava. Le premier soir, chez elle, nous avons couché ensemble. La totale. Visiblement, elle attendait ce moment-là depuis longtemps. On a remis ça le lendemain. Puis le jour d’après. Tous les jours jusqu’à mon tour de vélo dans NDG. Là, ça a commencé à dégénérer… »

René Dupont a raconté dans le détail la suite des évènements. Sa cavale à vélo. Son attente au studio. La panique de Louise, à son retour chez elle. Pour la première fois, un homme venait de passer plus de deux jours dans son lit. Et pas n’importe lequel. Celui qu’elle désirait d’entre tous. Elle ne voulait pas le perdre. Elle avait menacé de se suicider s’il la quittait. Du chantage, se disait René. Lui ne se voyait pas passer le reste de ses jours en clandestinité chez une femme qu’il appréciait, mais n’aimait pas.

Bombardier s’est penché vers Dupont.

« C’est la raison de son suicide, selon toi ?

– Oui.

– Tu me mens. »

Dupont agitait frénétiquement sa jambe droite. Bombardier était convaincu qu’il cachait la véritable raison de la mort de Louise. Il a risqué une hypothèse.

« Les huit jurés sur le Zoom, vous étiez tous corrompus, c’est ça ?

– …

– Et Louise, la belle Louise, elle avait peur que tu nous déballes tout ça ?

– Peut-être. »

Bombardier avait enfin trouvé la faille qu’il cherchait depuis 10 jours.

« Dis-moi, René, qui Bigras a-t-il acheté au procès ? »

Dupont a hésité une dizaine de secondes. Puis a débité les noms. Lentement. Un à la fois.

« Louise. Jean-Marc Chicoine. Julie Chen. Luigi Campagnolo. Roger Campeau. Jonathan Larrivée. Michael Rossi. Moi. Et un policier.

– Un policier ! Te souviens-tu de son nom ?

– C’est un des deux qui ont témoigné. Il avait un nom espagnol. Ou italien.

– Mario Malatesta ?

– Oui, c’est ça. Mario Malatesta. »

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