On vit sa vie, avec son lot de joies, de peines, de douceurs et de désagréments. On se bat et on débat. On suit notre horaire. On rebondit du boulot aux amis. De la solitude à l’amour. Qu’on soit heureux, triste ou neutre, on continue. Toujours, on continue. En traînant son petit soi. Son petit moi. Ça va ? Ça va.

Puis, soudain, survient un drame. Un terrible drame. Avec des gens qu’on ne connaît pas. Les nouvelles ne parlent que de ça. On voudrait changer de chaîne, mais on ne peut pas. La tragédie est trop cruelle, trop inhumaine, pour la zapper, pour l’ignorer. De toute façon, il est trop tard pour agir ainsi. Maintenant qu’on la sait. Maintenant qu’on sait de qui il s’agit. Ces inconnus n’en sont plus. Ils font maintenant partie de notre vie. Instantanément dans notre cœur, admis. Parce que leur souffrance est si grande qu’elle rejoint la nôtre. Et la dépasse. Et nous dépasse.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Ébranlées par la mort de Norah et Romy Carpentier, des dizaines de personnes ont déposé des fleurs et des peluches à leur mémoire au parc des Chutes-de-la-Chaudière, à Lévis.

On a l’âme qui se tord en apprenant la mort des deux enfants. On a l’âme qui faiblit en voyant la mère et son malheur infini.

Tout bouleversé que l’on soit, on continue à s’activer. On arrive même à s’amuser. Après tout, c’est l’été. On se sent un peu coupable de notre bonheur léger. Mais pas assez pour le bouder. Et c’est normal ainsi.

Le drame de la famille éprouvée, on l’a ressenti. Comme on ressent un tremblement de terre. Au plus haut degré à l’échelle de l’empathie.

On a vu la maison là-bas s’écrouler, mais la nôtre n’a pas bougé. Mais la nôtre est toujours là. Tous ceux qu’on aime y sont encore. Et il faut plus que jamais en profiter. Demain, ça peut trembler un peu, de notre côté. Mais ça, il ne faut pas y penser. L’angoisse est un vilain divulgâcheur. Pas besoin de savoir la fin, quand pour l’instant tout va bien.

N’empêche qu’avant de se coucher, la tragédie se remet à nous hanter. C’est toujours avant de tomber de sommeil qu’on est pris de vertige. Qu’on se met à essayer de comprendre l’incompréhensible.

Et c’est l’insoutenable valse des pourquoi. Pourquoi le père a-t-il tué ses deux filles ? On ne le saura jamais. Parce qu’il est mort. Si on l’avait retrouvé en vie, l’aurait-on plus su ? Quand l’horreur s’attaque à l’innocence, ça ne s’explique pas. Même l’horreur ne le peut pas.

Pourquoi des enfants ont-ils dû subir pareille violence ? Pourquoi une mère sera-t-elle à jamais séparée de ses amours ? Pourquoi le destin est-il ainsi ?

On voudrait tant savoir.

On aime croire que l’existence a un sens. Une direction, une raison. Qui sème le bien récolte le bien. Qui nuit aux autres se nuit à lui-même. Que tout se vaut dans la balance. Qu’on a notre poids de chances et de malchances. Et qu’on fait avec. Et on avance. Bref, on a la foi. La foi en la vie, en notre vie. Que tout ça vaut la peine. La peine d’être en vie.

Mais à quoi s’accroche-t-on quand la peine est plus lourde que la vie ? Quelle est l’explication aux évènements injustifiables ? Que personne ne devrait commettre. Que personne ne devrait subir. Que personne ne devrait souffrir.

La tête sur l’oreiller, les yeux fermés, on est perdu. On ne comprend plus. La foi, la foi, la foi en quoi ?

On voudrait tant savoir pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi ? Ça nous aiderait tellement à traverser la nuit. Mais on ne saura jamais pourquoi. Pourquoi autant de haine ? Pourquoi autant de meurtris ? Pourquoi un tel gâchis ?

Alors avant de trop faire d’insomnie, on change de questions.

On se demande ce qu’on va faire demain. Comment cela va-t-il se passer ? Qui allons-nous croiser ? Comment va-t-on y arriver ? Les questions du quotidien. Qui finissent toutes par avoir une réponse. Tôt ou tard. Pas toujours celles prévues. Souvent pour le mieux.

Tellement de grandes attentes, tellement de petits soucis, qui nous distraient des troublantes questions existentielles.

À quoi ça rime, la vie ?

Avec ami ?

Avec ennemi ?

Avec joli ?

Avec tuerie ?

Avec tout ça.

On finit par trouver le sommeil. Malgré tout. Et l’on se réveille en apprenant qu’une mère aurait poignardé sa fille.

Et le pourquoi résonne dans notre tête vidée de ses certitudes.

On a le chagrin fatigué.

La conscience torturée.

Pourquoi ? Pourquoi ?

La question est au-dessus de nos forces.

Heureusement, l’important, ce n’est pas la raison. L’important, c’est l’action. Il ne faut pas juste penser. Il faut compenser. Compenser tous ces supplices, par plus d’amour.

Plus d’amour pour les proches accablés.

Plus d’amour pour les enfants. Les nôtres et les autres.

Plus d’amour pour ceux pour qui la vie est trop compliquée.

C’est facile à écrire. Je sais. Mais parfois, à force de l’écrire, à force de le lire, on finit par agir.