Il était 6 h 45 quand Matthew Perrin est arrivé, sans rendez-vous, aux bureaux de la Société de l’assurance automobile du boulevard Henri-Bourassa, la SAAQ, pour rendre officiel le transfert de propriété de sa nouvelle voiture d’occasion.

Il n’avait pas réussi à prendre rendez-vous parce que le seul moment disponible trouvé en ligne, avec le nouveau système mis en place à cause de la COVID-19, était début août.

Trop long. La transaction devait se faire.

Alors, il est allé faire la file, en personne. En compagnie de dizaines de gens, comme lui, pas tous avec des masques.

Savez-vous à quelle heure il est reparti de là ?

Midi quinze.

« Ça n’a aucun sens de mettre sa santé en jeu pour remettre un papier rempli à la main et payer 150 $ », dit le gérant de restaurant.

« Ça aurait pu se faire en ligne ou au téléphone. »

« C’est sûr qu’il y a un meilleur moyen de fonctionner. »

Mélanie Roussin, elle, est allée rejoindre à 5 h 30 son fils qui avait besoin de faire immatriculer son scooter. Et lui était arrivé à 5 h ! À la SAAQ de Joliette.

« Et il était le troisième en ligne. Donc des gens étaient arrivés avant », raconte-t-elle.

Quand les bureaux ont finalement ouvert, elle a remarqué que sur 12 guichets de préposés, seulement deux étaient ouverts. Et un troisième, réservé aux examens de conduite, s’est ouvert par la suite, pendant qu’il attendait.

« À 9 h 15, on était repartis. Mais quand même ! »

Selon Mme Roussin, une femme d’affaires qui travaille en prévention des incendies, des employés de la SAAQ auraient pu servir tout le monde aux 12 postes, bien protégés avec leurs panneaux en plexiglas des deux côtés.

« Et à 8 h 20, un gardien de sécurité a commencé à dire à ceux qui arrivaient de faire demi-tour. »

Comme M. Perrin s’était aussi fait dire de faire demi-tour, à une première tentative de visite à la SAAQ, après avoir pourtant appelé l’organisme et parlé à une préposée qui lui avait bien dit d’aller boulevard Henri-Bourassa, où on acceptait les gens sans rendez-vous…

Sécuritaire, tout ça ?

« Les gens n’avaient pas beaucoup de masques », raconte Mme Roussin. « Mais ils respectaient eux-mêmes la distanciation. »

« Moi, dit M. Perrin, je suis revenu en me disant que j’aurais très bien pu attraper le virus, là, plus que n’importe quand. »

Faire affaire avec le gouvernement, la bureaucratie, ça n’est pas toujours facile.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

« Est-ce acceptable alors que nous vivons des moments sans précédent à cause du virus ? Doit-on s’y résigner ? », écrit notre chroniqueuse à propos des files d’attente et de la paperasse.

C’est un vieux cliché. Souvent vrai. Il n’y a pas juste dans la Maison des fous des 12 travaux d’Astérix que la quête du laissez-passer A38 relève de l’exploit.

Les files d’attente. La paperasse. C’est comme ça.

En temps de COVID-19 ? C’est pire que pire.

Les entreprises privées se démènent, mais les services publics ?

Est-ce acceptable alors que nous vivons des moments sans précédent à cause du virus ? Doit-on s’y résigner ?

Je vous laisse répondre.

Moi, je dis non. Et quoi qu’il en soit, il y a certainement place à l’amélioration dans la livraison de bien des services gouvernementaux.

Si des médecins délivrent maintenant des ordonnances à distance, si des physiothérapeutes font des consultations par vidéoconférence, si on publie des journaux entiers sans salle de rédaction, si des fabricants de sacs d’épicerie peuvent devenir pratiquement du jour au lendemain des fabricants de vêtements hospitaliers, si des distillateurs de vodka réussissent à devenir des producteurs de désinfectant, si des parents deviennent profs, si de grandes tables gastronomiques font maintenant du prêt-à-manger et de la livraison à domicile comme les pizzerias, ne serait-il pas possible que les services gouvernementaux ou paragouvernementaux profitent de la remise en question fondamentale provoquée par la distanciation obligatoire pour devenir plus efficaces ?

Posez la question autour de vous.

Tout le monde a une bonne raison de lever les yeux au ciel, comme M. Perrin ou Mme Roussin.

Pour Jean-Pierre Boisclair, c’est Postes Canada qui aurait besoin de se faire expliquer comment être aussi rapide que Purolator, UPS et compagnie.

Pour d’autres, ce sont les bars, tellement montrés du doigt actuellement comme foyers de contagion, à qui la Régie des alcools, courses et jeux ne permet toujours pas de vendre leurs alcools à emporter, malgré leurs demandes répétées. Pourtant les restaurants peuvent le faire.

Pourquoi est-ce que la loi ne serait pas adaptée en ces circonstances extraordinaires et pourquoi ne permettrait-on pas la consommation d’alcool dans tous les parcs ? Avec ou sans nourriture. À l’air libre.

Pourquoi est-ce que dans certains arrondissements, les accommodements sont rapides et efficaces, et pas dans d’autres ?

Et peut-on demander à la SAAQ s’il est vraiment nécessaire de se rendre devant un fonctionnaire en personne pour avoir une plaque sur un scooter ou une voiture d’occasion ? Si on peut renouveler son permis pour possession d’arme à feu en ligne, avec photo – un service de compétence fédérale –, peut-être qu’on peut trouver une façon de faire moderne pour les véhicules aussi ?

Et on ne parle pas ici de faire plaisir à des citoyens paresseux qui ne veulent pas se taper des queues interminables, même s’il serait normal de n’obliger personne à perdre autant de temps. On parle de limiter l’interaction entre le public et les fournisseurs de services et de restreindre les regroupements inutiles dans des files d’attente. Et, dans le cas des bars, de permettre aux gens de se voir et de prendre un verre dans un contexte moins propice à la transmission de virus.

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